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mardi 14 mars 2017

AUX COPAINS RESTÉS EN ROUTE / chronique à quatre mains.


Question de génération, question de vécu : lorsque nous prenons conscience que plus on remonte dans le passé, plus les conditions de vie étaient dures, sans compter les guerres par-dessus, nous nous devons de ne pas donner dans l’anachronisme, une bourde des plus communes.
Ainsi la retenue souvent affichée pour que la sensibilité ne s’épanche point l’est seulement d’apparence d’autant plus, qu’à l’extrême, la sensiblerie décrédibilise tout sentiment. Ainsi, si c’est toujours avec pudeur que l’émotion est contenue, elle n’en est pas moins présente...
Notre parler, d’ailleurs, en témoigne lorsque parlant de quelqu’un qui n’est plus, il fait ajouter devant le prénom, « le pauvre » en occultant que les pauvres sont aussi ceux qui restent. C’est aussi le cas de la mémoire qui revient et entretient à chaque occasion le souvenir d’un disparu, du moins dans les familles où les plus âgés, en principe, tiennent à faire passer de ce qu’il savent sur les leurs et un cercle plus ou moins large autour.
Restons en là de cette réflexion, sachant que nous avons tous, parmi nos chers disparus, des copains restés en route avec peut-être encore cette idée que reste vivant celui dont on parle encore et surtout, en tête, ce vers du grand Hugo, sur ce même thème, « Les morts, ce sont les cœurs qui t’aimaient autrefois » (poème "A quoi songeaient les deux cavaliers")...  


Parmi les copains qui reviennent plus volontiers, mon père est intarissable sur son ami Yves de Trausse Minervois, son complice des années lycée à Carcassonne. Il saurait évoquer Léon de Montréal, à vélo entre Bram dans la plaine et ce dernier pli du Razès face à la Montagne Noire, voire la cave paternelle où ils dégustaient à tous les goulots, rajoutant de l’eau sans vergogne pour que leur forfait passât inaperçu ! Et puis il y a Pierre si vite parti ailleurs. 


Dans Caboujolette, par le biais de quelques lettres, il en trace un portrait poignant, tout de modestie, de non-dits empreints de cette décence muette propre à ceux qui, parce qu’ils ont vécu, ont côtoyé trop de malheurs dont ceux, en forte proportion, hélas imputables aux hommes.

La première lettre apparaît dans son journal de 1939, sous le titre « Grandes Vacances ». Pierre l’envoie de Carcassonne le 24 juillet ; le cachet indique 17h 25 ; François la reçoit à Paris le lendemain après 10 h (1), un second cachet en faisant foi.
Pierre écrit en languedocien et parle même de "patois" (2) tant les attaques contre les langues minoritaires ont fait du français, porté aux nues en tant que langue de la liberté, un vecteur d’oppression...
Il cite toujours le début de la Respelido, la renaissance de la langue du Midi, initiée par Frédéric Mistral (3) et commence toujours par « Moun brave amic » : 

« Nautre, en plen jour
Voulèn parla toujour
La lengo dóu Miejour,
Vaqui lou Felibrige ! »

Il doit envier un peu son copain François qui a eu la chance d’être invité à Paris mais, faisant presque référence à Joachim du Bellay, il met en avant l’attachement au village natal : «... debes langui un pauquet de tourna à Fleuris...».
Pierre voit aussi quelques uns de ses professeurs arpenter la Rue de la Gare où se promène le tout Carcassonne. Il a même vu passer le Tour de France. Si la ville a des airs de gros bourg où tout le monde se connait, il n’en regrette pas moins d’être plutôt à Fontcaude où les vignes auraient moins souffert du mildiou. Mais il doit réviser (peut-être un rattrapage en septembre ?). 


On sent le souci de structurer, d'encadrer son propos du classique schéma si commode pour la rédaction : Introduction, développement, conclusion. Ainsi, il prend congé en signant de son surnom « Buto-Garo » et en rappelant l'amitié qui les lie : « Toun amic » ou « Toun amic que te saro la ma, Pierre Alias ».

Une autre lettre (est-ce la seconde de cet été 1939 ? ), date du 9 août. Mon père prend soin de préciser :
« ... Grandes vacances sous menaces de guerre.
Le samedi 2 août est le premier jour de la mobilisation générale.
Dimanche 3 août 1939. la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. »

Pierre est si content d’avoir reçu quelques mots dans notre langue maternelle, son ami François étant plus « assimilé », dirons-nous, plus convaincu que la référence à « La deffence et Illustration de la langue Francoyse (1549) », que le rayonnement "universel" du français, doivent faire taire l’étouffement de l‘occitan, langue minoritaire pourtant bien plus ancienne (4).
Pierre regrette de ne pouvoir aller à Fontcaude que pour les vendanges. Il aimerait passer à Fleury aussi, pour le plaisir de discuter autour d’un verre, sans oublier de parler d’une météo avare de chaleur au point que les raisins ont du mal à mûrir.

Dix-neuf ans, un bel âge pour nos garçons si le destin n’en décide pas autrement... mais n’interférons pas davantage, laissons la parole à François (Caboujolette 2008, page 253) :

«... Et malgré moi me reviennent les vers d’« Oceano nox », appris par coeur dès la sixième à Carcassonne. C’est une vieille habitude. Le 24 juin 1941, j’étais allé à Carcassonne, après avoir reçu de la famille Alias un télégramme des plus inquiétants : Accident très grave arrivé à Pierre...etc... suivi sans doute par celui qui fixait le jour des obsèques. Avant de repartir pour Fleury, j’avais voulu acheter un livre d’allemand : FAUST, de Goethe, dans la collection bilingue des classiques étrangers. 40 francs : c’était assez cher... Je devais inscrire sur la feuille de garde : Acheté à Carcassonne le 24 juin 1941 en souvenir de mon ami regretté : Pierre noyé le dimanche 22 juin 1941 dans l’Aude. F. Dedieu.
« Ô flots, que vous savez de lugubres histoires ! » (Victor Hugo, Oceano Nox).

Après l’enterrement, monsieur Alias, son malheureux père, m’avait dit : « Ne l’oubliez pas trop vite. » Soixante-six ans après, je n’ai toujours pas oublié. »

Victor Hugo juxtapose la noirceur, la furie des flots tempétueux et ces marins disparus sombrant avec le temps dans les mémoires. A voir les rives si bucoliques du Païcherou, avec la guinguette des dimanches au bord de l’eau, on se défend de penser aussi à ces accidents si communs. Après le barrage le flot encore clair d’une Aude venue des montagnes, murmure le prénom Pierre sur les cailloux avant de le rouler plus profond dans sa plénitude de fleuve jusqu’à la mer mais c’est la dernière des raisons... soixante-seize-ans maintenant que papa n’oublie pas l’ami qui lui serrait si joyeusement la main... 


(1) la Poste fait-elle mieux aujourd’hui ? 
(2) les révolutionnaires disaient aussi « idiomes féodaux » !
(3) Mistral, par ailleurs très conservateur sinon réactionnaire, parle de « résurrection ».
(4) avec le temps et un certain recul, sans pour autant que cela exprimât une revendication identitaire, le penchant naturel pour la langue des aïeux s’est affirmé : ses parents ne parlaient-ils pas que languedocien entre eux ? Et son oncle Noé bien aimé, aurait-il eu tant d’effet sur lui sans cette langue indissociable du tempérament méridional ? «... lou fial d’or que nous estaco a nostre terro, a nostre cèl !..», ce fil d’or qui nous attache  à notre terre, à notre ciel, si bien chanté par notre poète sallois Jean Camp, en partage des vals alpins d’Italie aux vallées des Pyrénées et jusqu’aux plaines du Bourbonnais. Et que nos Jacobins franchouillards ne viennent surtout pas ramener leur arrogance coutumière si mal venue, ces internationalistes si enclins à émanciper au dehors et à coloniser au dedans : nos poilus de 14 parlaient occitan... s'il n'y avait eu que les Parisiens pour défendre la France ! Non, le Sud n’a pas de leçon à recevoir d’eux ! 

crédit photos : 1. Cazedarnes Autor Fagairolles 34 
2. Montréal Aude Auteur Profburp 
3. François Dedieu collection personnelle 
4. abbaye Fontcaude Author Fagairolles 34 
5. Carcassonne Aude & Cité Author Benh LIEU SONG