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samedi 27 janvier 2024

ROBERT le pêcheur (2)

 

Navette en main, Robert rapièce son filet, peut-être, à voir les flotteurs de liège et les plombs, la paladière d'un trabacou, l'obstacle planté droit qui peut amener le poisson à entrer dans l'antichambre du piège.


La paladière, ici repliée, nous donne une idée de sa hauteur (entre 1,50 et 2 mètres). Le poisson piégé (anguille, muge, loup, daurade) se retrouvera dans une des trois nasses du piège tenues par des cerceaux de bois : droit devant la “ pantano mestro ”, en arrière deux “ reculs ” des fois que le poisson ferait demi-tour une fois entré (il ne lui reste que la mince possibilité de retrouver l'espace libre par où il est entré). 

Derrière Robert, le cabanon pour son matériel, laissé dans les années 50, à disposition d'un chemineau nommé François (si la mémoire ne me fait pas défaut...). 

2 chevaux fourgonnette, Taunus 1300 et tout aussi bien, derrière la Citroën, la R16 d'Émile qu'on ne voit pas... 
Toujours dans la même impasse, Madeleine, de son vrai prénom  Alexine (1897-1991), en bas la rue de la Poste, entre les deux, cette descente où Robert le pêcheur allumait le feu de la Saint-Jean. 



lundi 22 janvier 2024

ROBERT le pêcheur.

Article du 4 nov 2021 à l'origine. Quant à la sortie, début ou fin 78 ? 

Robert en pêche à l'étang de l'Ayrolle. Diapositive de 1978. 

L'Ayrolle, j'en ai eu un aperçu l'hiver, quand le Cerç donne libre cours à sa hargne et lève déjà des vagues sur l'étang. 

Robert en pêche à l'étang de l'Ayrolle. Diapositive de 1978. 


Il y avait un pêcheur à Fleury, ouvert, positif, au sourire faisant oublier un moment les soucis et surtout le moche autour de nous, un homme sans problème, aimant et aimé. 

Robert en pêche à l'étang de l'Ayrolle. Diapositive de 1978. 

Nous le connaissions pour la pêche au globe, à Aude, celle, à la traîne entre Saint-Pierre et Les Cabanes (peut-être l'objet d'un autre article). Je veux parler de Robert Vié. Il m'avait invité à le suivre sur l'étang de l'Ayrolle. Un jour je retrouverai bien quelques diapos sur cette sortie : elles existent. Je n'en ai pas rêvé, lui, sur son betou, dans son ciré jaune, les pommettes rougies par le froid, les doigts gercés. Avions-nous pris des anguilles ? je ne saurais dire. Dans ces années 70, comme aujourd'hui, un camion-vivier faisait régulièrement la tournée. A l'époque Robert me disait que les poissons partaient surtout pour l'Italie où l'anguille, fumée ou non, poisson de luxe, se payait cher. 

Les cabanes de l'étang de l'Ayrolle. Diapositive de 1978. 

Robert gardait à cœur le village et les gens. Je ne sais pas pour les autres quartiers mais grâce à lui, dans le " faubourg d'en haut ", entre le vieux village, " médina " ou "quartier chinois ", resserré derrière les boulevards témoins des remparts historiques disparus, et Caboujolette, le piémont de La Clape, j'ai connu et sauté le grand feu de la Saint-Jean. 

J'aurais dû aussi ficher quelque part un article de journal ou du bulletin de la mairie où on le voit recevoir les enfants de l'école dans son atelier, véritable petit musée. Faute de quoi, quelques diapos me restent et détail d'importance, son ciré n'est pas jaune mais vert-olive-foncé et s'il faisait froid, finalement nous ne nous en ressentions pas trop...  

Robert Joseph VIÉ (1927-2007) nous a quittés suite à un accident. Comme pour beaucoup, pour ceux qui l'ont connu, sa tombe reste un lieu de mémoire... je dois l'avoir en photo quelque part...   

Clair de soleil sur l'étang de l'Ayrolle. Une vue en gros Sud avec au fond la redoute de la Vieille-Nouvelle. Diapositive de 1978. 

PS : je tiens les originaux sans filigranes à disposition de sa famille


jeudi 31 août 2023

LE-GRAU-DU-ROI (fin).

Dans tous les cas, c’est une atmosphère très méditerranée ; elle sature l’esprit : les rouge, bleu, blanc de la joute, le blanc de la chaux des murs, du phare, le bleu dit “ charron ” ou “ charrette ” (1), pourtant sur les portes et volets des maisons blanches du pourtour de la mer. Ah ! fredonner « bleu blanc... » de Marcel Amont (1929-2023) qui vient de nous quitter le 8 mars. Et comme pour ajouter à cette palette très Sud, discrète, la nuance ocre rose de la tuile canal, voyante, la touche verte des palmiers phoenix... 

Le_Vieux_Phare_du_Grau-du-Roi 2010 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Author Airair

« Bleu, blanc... » l’impérieux appétit de vie pour le monde d’après 1945 et cet élan pour aller, pleins de curiosité bienveillante, vers les autres.  : il y a de ça dans les peintures que ce cadre motive. Il y a aussi le pathétique d’un vieux monde, d’un “ vieux phare ”, comme les habitants du Grau disent avec, au pied, de vieilles barques aux voiles latines carguées. 

Le_Grau_du_Roi-Pointe_de_l'Espiguette-Zone_humide 2015 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Daniel VILLAFRUELA

Le vieux phare d’Aigues-Mortes, haut de 18 mètres, a fonctionné de 1829 à 1869 seulement : un rapide ensablement du golfe l’a rendu inopérant. Il sera remplacé par celui de l’Espiguette mais les gardiens continueront à occuper les logements, les conditions de vie dans le nouveau phare s’avérant trop difficiles l’hiver.    

Entre mer et lagune, Le-Grau-du-Roi est un port de pêche dynamique, le deuxième derrière Sète mais  le tonnage des prises ne cesse de s’infléchir, la flotte est de moins en moins nombreuse. Au Grau, on disait qu’après des jours de Mistral, le vent du sud pouvait donner de bonnes prises, et que s’il n’y a le Mijour qui fait danser les coques, ni le Levant, pas plus que l’Intre, une tramontane de l’intérieur, c’est calmasse, la pétole, un temps de curé.

Une autre ressource le long de la côte sableuse, jusqu’en Camargue, les tenilles (tellines, haricots de mer) et bien sûr le tourisme d’été.

Concernant surtout Agde puis Sète, notre intérêt avait versé vers les bateaux-bœufs. Au-Grau-du-Roi, jusqu’au début des années 60, existaient les « mourres de porc » (mourre pour museau). Quant au gréement des bateaux-bœufs, ces pêcheurs dérivés de la tartane provençale, notons un détail, à ce jour, attestant de l’importance de la langue mère :

* la mestre est la grande voile latine.

* les focs sont lou trinquet, lou gran et lou pichot défès...

Un gréement basique permettant une manœuvre souple, ne nécessitant que peu de matelots, rappelé ici pour ses noms en occitan... (source l’excellente revue du Chasse-Marée). 

(1) Tiré du Pastel des teinturiers aussi appelé “ Herbe du Lauragais ”.

jeudi 15 juin 2023

SÈTE 4. Pêche, migrations et capitalisme...

Robert_Mols_-_port_de_Sète 1891 domaine public musée Paul Valéry. 

Sète, un Languedoc maritime, mâtiné de Catalogne, de Campanie jusqu’en Calabre, Sète, port de pêche. Si, localement, l’activité concernait l’Étang, avec les Catalans d’abord, puis les Italiens, elle s’est tournée vers la mer. Encore au début du siècle passé, les Sétois originaires d’Italie faisaient construire à Agde des dizaines de bateaux-bœufs ainsi nommés parce qu’ils tiraient le filet comme les bœufs tiraient la charrue. Sauf que cette technique prévoit que le second fait la vache, pour dire qu’il ne bénéficie pas du partage de la pêche, à charge, la fois d’après, d’inverser les rôles, exception faite de la semaine sainte où tout le monde a besoin d’argent frais pour fêter Pâques. Même au port, coques alignées, rangées, quel bel ensemble ces voiles carguées sur les antennes ! Au point que Paul Valéry, le penseur qui ne se voulait pas philosophe, d’habitude plus compliqué, avait revendiqué la beauté des voiles de Sète ! (si quelqu’un me retrouve cette citation, je suis preneur !) Et cette antenne ! vingt-deux, vingt-quatre mètres de longueur... imaginons le mousse chargé d’y grimper ! D’ailleurs on le voit sur le détail d’une marine « Le Port de Sète », du peintre Mols. Autre détail : les filets hissés en haut du mât ! Superstition ou simple prévention contre les vols ?

Ces immigrés particuliers (beaucoup, dans l’agriculture, les forêts, sont longtemps venus du Nord de l’Italie) nous les retrouvons, par exemple, à la tête de chantiers de construction maritime ou comme patrons de bateaux, des « dynasties » toujours à la barre. Pêcheurs, ils sont originaires de Cetara dans le Golfe de Salerne. A partir de 1850, comme à Sérignan, ceux de Cetraro (Calabre), à Frontignan, ceux de Gaete (golfe au nord de Naples). Par les lettres au pays puis le bouche à oreille, ils seraient partis parce qu’il n’y avait plus chez eux, ni sel ni anchois, le long de cette côte au Sud de Rome. Ce sont eux qui ont impulsé la pêche en mer, les locaux démontrant moins de courage ou se révélant plus terrestres que marins, moins aguerris, disposés seulement à exploiter la lagune du Thau et plus haut le long du golfe, la gourmette d’étangs jusqu’à Aigues-Mortes. 

Depuis, prenant le pas sur Agde, Sète reste notre plus important port de pêche sur la Méditerranée. Dans les années 60, ce sont les rapatriés d’Algérie, souvent arrivés sur leurs propres bâtiments, qui ont apporté du sang nouveau. 

Sète chalutiers et thoniers Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Christian Ferrer


A voir les belles unités flambant neuves, alignées le long du quai, le polyester immaculé à la place de l’acier qui lui-même avait repoussé les coques en bois, une génération de plus en arrière, nous n’allons pas regretter les voiles pittoresques appréciées de Valéry, le ravaudeur de filets sur le quai qui chante si bien l’Italie (si, si ce n’est pas une carte postale, j’en ai été témoin), une belle voix qui doit faire le bonheur des tablées de fêtes. Non, nous n’allons pas fondre en commisération à la vue du quartier haut, le pauvre (à Mèze nous avions l’inverse, comme quoi...), celui des petites maisons des pêcheurs avec le linge pendu aux balcons. Rien ne saurait rester figé. Entre aimer le passé et rester passéiste, faut pas confondre. Comme partout, le confort, l’argent sont passés par là ; c’est un calcul, un investissement à long terme, envisageable si une pêche rapporte et que peut-il y avoir de plus exaltant même pour ces pêcheurs-hommes d’affaires, qu’une fièvre pour le thon égale à celle du chercheur d’or d’une autre époque ? 

Tuna_ensnared, pris au piège.  Domaine Public  from the U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration Auteur Danilo Cedrone (United Nations Food and Agriculture Organization)


Dans quelle limite ce calcul reste-t-il acceptable ? C'est bien parce que le système complètement amoral ne s'impose pas de limites qu'une fin du Monde, du moins de l'anthropocène, est devenue plausible... Inutile d'en référer à Nostradamus et à Malachie...  

mercredi 7 juin 2023

FRONTIGNAN (3), Achille Munier, le Thalamus.

" Qui cherche trouve "dit le dicton, pas toujours ce qui nous importait mais plus sûrement, ce qu'on ne cherchait pas...

La région proche m’arrête plus que prévu et va peser lourd alors que le Sud provençal jusqu’à l’Italie se fera plus léger au fur et à mesure de l’éloignement...      

« Notes sur Frontignan pour servir à son Histoire », Achille Munier 1874, deuxième édition, Montpellier C. Coulet Libraire-Éditeur, Paris E. Dentu Libraire-Éditeur, 376 pages. 

Villeneuve-lès-Maguelone_projet_de_canal_des_étangs_1742_-_Archives_départementales_de_l’Hérault domaine Public wikimedia commons

Pour avoir seulement picoré :

* page 172. D’après Pline l’Ancien (23-79 suite à l’éruption du Vésuve), les riverains de « l’Étang de Lates » (peut-être le Méjean actuel) se faisaient aider par les dauphins pour pêcher les bancs de mulets. Achille Munier en déduit donc que cette association devait se faire dans les autres étangs. Par contre, il constate qu’à son époque il y a longtemps que les dauphins n’approchent plus, les hommes étant trop intéressés par leur graisse.

En plus des explications historiques, l’ouvrage raconte bien des détails sur la pêche, la chasse, dont le procès contre les gens de l’évêque de Maguelone qui barrent les graus au moment du frai avec un filet prohibé nommé « brugine ». 

Grandes_compagnies_miniature_XIIIe_BNF domaine public wikimedia commons

* page 225. Un exemple des rudes temps (vers 1350, époque de Du Guesclin) d’insécurité avec la venue et la prise de Frontignan, à l’enceinte non close du côté étang, par Seguin de Badefol, anglais ou gascon selon les dires. Ce routier descend d’Auvergne avec 3000 soudards qui brûlent, pillent et ravagent. Après Aniane, Gignac, Villeveyrac, Pomerols, Florensac, c’est le tour de Frontignan.

Le Thalamus, de Montpellier, archive manuscrite sur trois siècles, jusque vers 1600, en témoigne « dans la langue de nos pères »... Surprise, c’est bien écrit en occitan ! (tous ceux qui se disent « fiers » du patois parlé par le papé ou la tantine, plutôt que de persister à ressasser « patois » « patois » sans réaliser que le mot a été imposé par l’envahisseur pour mieux soumettre, sont priés de dire désormais « occitan » ou « languedocien » concernant notre langue historiquement première... il n’y a pas de tradition qui tienne... ce n’est pas parce que mon père et mon grand-père acceptaient Pétain que je dois manifester une quelconque indulgence à l’égard de ce maréchal qui faisait le salut fasciste... Putain va !).

Donc, « En lan... de nostre senhor... MCCCLXI... en lou mes dabril... matin a la poncha del jorn a XII dabril, et intret ame sas companhas... per l’estanh... aqui non avia gis de mur... » Les assaillants perdirent deux-cents des leurs, les défenseurs trente. Mais les bandits restèrent sept semaines à piller, violer et incendier. Quand les troupes alliées au lieutenant du roi se mirent en branle, les bandits partirent au Vigan pour revenir en mai enlever plusieurs personnes. Absent pour défendre la ville, le capitaine-châtelain fut destitué par lettres patentes.

Arrêtons de picorer même si cette provende reste des plus intéressantes, entre autres, sur la naissance de la ville de Sète, quitte à revenir sur nos questions de territoire déjà évoquées ! 

vendredi 30 juillet 2021

QUAND NOUS PARTIONS PÊCHER A AUDE, A BICYCLETTE (fin)



 
L’après-midi, tout le monde redescend à la rivière où les places sont toujours aussi chères. Parfois des Héraultais se retrouvent de l’autre côté. Mais est-ce parce que des rivalités entre villages ou le département limitrophe sont vives que le fleuve, dans sa sagesse, dispose ses spoliateurs de la gaule suivant la configuration concave ou convexe de ses rives ? Néanmoins deux postes de pêche peuvent se faire face et comme chacun vient aguicher le muge jusqu’aux pieds de l’autre, à l’occasion d’un accrochage, de vieilles rancunes sans fond peuvent se rallumer. Pourtant, si un canot à moteur remonte l’Aude comme pour explorer un cours d’eau d’Amazonie, tout le monde est d’accord pour bombarder l’intrus avec des tures (1) et force insultes et hurlements d’Indiens indomptés, plus horripilés encore si une naïade a le malheur de bronzer sur le pont avant (2).

En fin d’après-midi, il arrive que l’un des jeunes se mette à l’eau pour récupérer un bas de ligne piqué de l’autre côté sur une branche basse ou parce qu’il a repéré un buldo perdu qui pendouille sur une carabène : il n’y a pas de petite économie et ce seront moins de francs laissés au bureau de tabac. L’ombre se fait plus épaisse au bord de l’eau et par un jour sans vent, des nuées de mouissals (moucherons) attaquent ; seule la fumée de canotes vertes peut les tenir à distance.

Puis vient le moment de partir. En haut, le long de la vigne, la lumière reste vive. Nos pas, dans l’herbe, font «... naître un bouquet changeant de sauterelles, de papillons...» sans les rainettes... le climat est plus sec ici que dans la chanson de Montand «A Bicyclette» (1968). Sans l’heure d’été (3), «... quand le soleil à l’horizon profilait sur tous les buissons nos silhouettes... », le retour vers le village sur son coteau, c’est tout à fait la chanson de Montand sauf que Paulette n’est pas plus là que les rainettes... Les filles, les femmes, personne n’en parle sinon par le biais des chansons paillardes initiatiques braillées dans le car du rugby... L’emprise de la religion, de la morale, le poids des traditions, des tabous font que la maturité psychologique n’est pas en avance mais cette préoccupation ne va pas tarder avec l’été à la mer, les bals et le cacolac de l’entr’acte payé, sans garantie en retour, à sa cavalière. Nous parlons, nous vivons poissons : parce que j’ai le tort d’être allé plus loin que le patelin et la rivière, Robert me traite de cracaire puisqu’un silure glane ne peut pas peser plus de 100 kilos ! Mais qui pourrait croire une craque aussi grosse ! Djeou tu exagères ! Tu les fais encore ricaner, allons, pêcher des ablettes à la mouche de cuisine dans l’Aude ! Et pourtant, après avoir lu  «la Boîte à Pêche» de Maurice Genevoix, j’en ai pris, sur fond sableux, à la Barque Vieille ! Rire avec les autres, ne pas s’en savoir mal, ne pas prêter le flanc aux moqueries... C’est bien qu’il y ait une mouche du coche alors qu’on pédale ensemble et puis c’est progresser vers la maturité psychologique non ?

 «Y avait» Robert et René, Jean-Marie, Joseph et José, Guy et JF

«Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
A bicyclette...»              

(1) Mottes de terre.

(2) Une scène du Petit Baigneur tournée sur les bords de l’Aude (1968) avec imprécations en occitan exprime bien le ressentiment des locaux pour ce tourisme de nanti se croyant tout permis...

(3) Une heure d’avance sur l’heure solaire dite «heure vieille», une de moins par rapport à celle d’été. 


 


QUAND NOUS PARTIONS PÊCHER A AUDE, A BICYCLETTE... (3)


 

Le but est de provoquer l’attaque du poisson herbivore plutôt omnivore à moins que ce ne soit pour l’énerver avec une escabène protidique poursuivant une proie... La logique nous fait dire le contraire mais c’est bien un ver qui poursuit la cuillère censée représenter le fretin. Entre nous, tant mieux si le peu que nous croyons savoir flotte entre ignorance, contradictions et auto-persuasion. Positiver par exemple à la vue d’un ventre qui se tourne et lance un reflet d’argent, en déduire mort et fort (1) que le poisson a faim et qu’il devrait être intéressé par l’appât jeté sous son museau. On pense aussi que les muges ne remontent la rivière qu’au fil de la saison. On pense vaguement quand le crin siffle et que le buldo plouffe au ras des canotes ou du tronc moussu immergé.

Mais tout reste tendu vers la proie à accrocher : les boucles du bas de ligne, le fil à la trajectoire courbe si le courant s’en mêle, le scion légèrement busqué, le crin entre chaque anneau, comme une corde de guitare, l’arceau de faction, tel un radar et au bout, sur la manivelle du moulinet, trois doigts prêts à ressentir le moindre à-coup prometteur. Au bout du bout, il faut le voir, lui, son pull «père Noël qui est une ordure», short «rugby-Platini», un brin «dragueur-tennis» (les baskets n’étaient pas tendance...), un peu «Aldo la classe» dans l’attitude, fente avant, pieds campés.

Et s’il dit «touche !», tous le fixent ; «touche» encore ; à la troisième, fil tendu, canne arquée, lui se cabre, desserre en urgence le frein et retient tant qu’il peut par peur de casser : le muge, très bagarreur, oppose son flanc à la traction ; jusqu’aux derniers coups de queue à l’approche des canotes, la lutte est âpre. En regard, le matériel est costaud : 30/100e pour la ligne, canne et moulinets moyens au moins... la finalité est de rapporter du poisson. Le pêcheur a demandé le salabre ; l’assistant doit en présenter l’ouverture par en dessous, sans plus bouger faute de provoquer une réaction ultime, malencontreuse ou providentielle suivant le point de vue du tenant ou du tenu. Attention de bien saisir la prise depuis la tête : la première nageoire dorsale porte quatre aiguillons épineux ! Sauf maladresse, le poisson retrouve l’eau mais dans un sac à patates, captif.

Vers midi, à vélo, en mobylette, les traqueurs de muges remontent au village. En même temps qu’eux, des solitaires tel ce père de famille nombreuse, le sac de jute dégoulinant d’eau sur son solex. Si les sardines et les maquereaux des Cabanes (2) sont alors aussi frais qu’abondants et abordables, les muges représentent une manne pour qui a bien des bouches à nourrir. Il se prépare bouilli, au four avec des rondelles de citron, à la braise de sarments. N’en déplaise aux difficiles, c’est un bon poisson ; certains le préfèrent au loup. (à suivre).

(1)  De l’occitan «fort e mort» ou «mort-à-fort» : opiniâtrement, obstinément (Trésor du Félibrige / Frédéric Mistral).

(2) On pourrait aussi citer le thon ou les anchois à conserver.