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samedi 21 octobre 2017

“ J'AI PAS VOLÉ, PAS VOLÉ, PAS VOLÉ L’OR...” (fin) / Faites donc "Monsieur Hitler" !

  Le 18 juillet 1944, à Bretton Woods, Henri Morgenthau, ministre des finances de Roosevelt accuse la BRI (Banque pour les Règlements Internationaux) d’être instrumentalisée par les nazis... Il se garde bien de revenir sur la période antérieure à décembre 1941 qui a vu les États-Unis continuer à exporter vers l’Allemagne nazie, la BRI, en tant que prête-nom, se chargeant des transferts d’argent. 
 
    La BRI, intermédiaire entre les banques centrales européennes, a son siège à Bâle, en Suisse. En 1944, elle est contrôlée par la Reichbank qui possède plus de 70% des actions. En outre, ses actifs, à hauteur de 300 millions de francs suisses, sont aussi investis en Allemagne. Il serait anecdotique de souligner que le directeur général est français, un nommé Fournier, de la Banque de France mais aux ordres d’un commissaire allemand. Est-ce utile de préciser aussi que le directeur adjoint est allemand, ancien de la Reichbank, membre du parti nazi ? Serait-il accessoire encore de dire que le président de la banque, T.H. Mc Kittrick est américain ?
    
Dans cette logique, la BRI qui, malgré la guerre, touche, rubis sur l’ongle, les intérêts de ses investissements en Allemagne, se permet en retour, de bénéficier de devises fortes ; ainsi l’or pillé par les nazis s’en retrouve blanchi. La banque suisse qui a aussi transporté de l’or vers le Portugal pour le compte de l’Allemagne traitait qui plus est la vente du métal précieux au profit d'Hitler.
    
Avant la guerre, alors que tous les signes de son imminence sont tangibles, les gouvernements occidentaux (Angleterre, France, États-Unis) sont bien les seuls à toujours croire qu’elle est évitable (1). Dans ce but, le gouvernement anglais, ne voulant surtout pas déplaire à “Monsieur Hitler”, a favorisé le versement de la valeur de l’or tchèque vers l’Allemagne. Pauvre Tchécoslovaquie, lâchée par ses alliés, envahie et dépouillée d’avoirs censés être en sécurité en Grande-Bretagne ! C’est à mettre sur la liste des lâchetés anglaises et françaises (2) qui eurent un effet inverse à celui escompté. Triplement même puisque, Hitler encouragé dans sa politique d’agression qui augmenta d'un tiers ses capacités guerrières grâce à l'équipement et aux chars tchèques (usines Škoda principalement) bénéficia aussi des fonds nécessaires au développement de sa machine de guerre. Pis, cette politique d’apaisement se conjugua avec une impréparation certaine des alliés alors que la probabilité de la guerre se renforçait.
  
  
 La presse britannique, elle, témoigne néanmoins de cette indignité en dénigrant la BRI, une banque qui récompense avec 23 tonnes d’or (804,591 millions d’euros / cours du 18 oct 2017) l’occupation illégale d’un pays souverain. La question est posée à la Chambre des communes, le 15 mai 1938 et Chamberlain dit vrai mais ment à la fois en affirmant que l’or tchèque n’a pas été livré. Le 31 mai 1938, une dépêche de l’Associated Press en Suisse viendra confirmer la transaction.

Johan Willem Beyen (3), président de la BRI de 1937 à 1940, laisse aussi entendre qu'il s'agit d'un jeu d'écriture, "que c'est très technique", que l'or est toujours là.

Mc Kittrick, sur le point d’être nommé à la tête de la BRI, a préféré considérer que la situation était seulement comparable à ce qui s’était passé en Autriche (22 tonnes d’or transférées en Allemagne suite à l’Anschluss, l’annexion).           
Alors qu’elle ne l’a pas fait en faveur des Soviétiques pour l’or des pays baltes, La BRI a livré l’équivalent de l'or que la Banque Tchécoslovaque avait mis en sûreté à Londres. 

A la fin de la guerre T.H. Mc Kittrick fut reconduit dans ses fonctions et la BRI n’eut aucun compte à régler concernant la dénazification. 
Beyen, son président fut ministre des Affaires Étrangères des Pays-Bas jusqu'en 1956 et honoré lors du Traité de Rome (1957) pour "son rôle majeur dans la création du Marché Commun" (Wikipedia). 

Cher copain de taverne, toi qui a voulu mettre ce malaise entre nous, tu as une idée, à présent, pour ton or volatilisé... Je ne sais pas si tu es intéressé par mes déductions mais en cinquante ans, l'image de la France idiote utile se fait moins floue. Les alliés ont toujours joué de ses fiertés mal placées pour la faire suivre comme un âne qui trotte. Elle qui se voulait entre les deux blocs se retrouve engagée avec une Europe atlantiste en froid avec la Russie, complice obligée des dominateurs de Washington, représentants de commerce d'un monde pas aussi libre qu'il le prétend.    

(1) Le bellicisme allemand est analysé et annoncé bien avant 1930... Est-ce la hantise du bolchévisme, l'intégrisme capitalistique et le désir pour l'Occident de pousser Hitler contre Staline qui ont favorisé la montée en puissance du totalitarisme nazi ?.. La réponse n'est-elle pas dans la question ?  
(2) « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre. » Winston Churchill à Neville Chamberlain, premier ministre, à propos des Accords de Munich (1938). Churchill a eu le mérite de dénoncer en temps utile les volontés hégémoniques de l’Allemagne. Pas écouté face à la politique d’apaisement de Baldwin puis de Chamberlain, il a même été hué pour son avis à propos des accords de Munich (sept. 1938) : « Nous avons subi une défaite totale et sans restriction » ! 
(3) considéré comme un des « Pères de l’Europe » ! Après Monnet et Schuman dont on sait qu’ils acceptèrent l’agent de la CIA, ne sautons pas comme des cabris pour une UE vraiment pas en odeur de sainteté...    

Source : Marc-André Charguéraud / Le Banquier américain de Hitler, Ed. Labor et Fides, 2004. 

photos autorisées : 
1. Holoubkov Panzer-35 Auteur  MoRsE assumed

vendredi 20 octobre 2017

“ TU AS VOLÉ, AS VOLÉ, AS VOLÉ L’OR...” / Un Monde "libre" de vous dépouiller !

Pardonnez ma pirouette avec "L'or...ange du marchand" de Gilbert Bécaud même si le hasard rapproche doublement le présent papier du premier article de ce blog en octobre 2013 : 

ČESKOSLOVENSKO / Nathalie de Bécaud ?


Des choses vous reviennent, comme ça, sans crier gare, prolongeraient-elles les récents articles
Un samedi soir à la bière, dans une auberge enfumée de Bohême. Nous sommes en 1969, peut-être 1970, chez la bleda lady de l'Hospoda U Šmucrů, la pâle tenancière  qui porte le gris du vieux crépi de la façade sur son visage fermé. Mais notre jeunesse fleurit, la blonde aidant, entre les chansons entonnées et les œillades aux jolies étudiantes, oubliant le printemps de Prague trop vite étouffé. Un samedi soir aussi rituel qu'agréable quand mon voisin jusque là inconnu de moi, me fait  :

« Et l’or des Tchèques que vous avez volé ? » 
 

Je tombe des nues, me demandant avec crainte si, déjà parjures et lâches d’avoir accepté Munich en 1938, puis l’appropriation illégale de la Bohême-Moravie par le Reich (mars 1939), nous, Français, serions aussi des voleurs. La France n’aurait-elle jamais rendu l’or confié par nos amis ? Faute d’éléments, ce soir-là, et de bouteille aussi, pas comme quand je dirai "conard" à un étudiant seulement pré-adulte osant m'écrire que l'esclavage est de mon fait parce que je suis blanc et que lui est noir (je regrette même d'avoir argumenté alors), la question se fige dans sa parenthèse : nous entonnâmes un autre air et trinquâmes à autre chose mais moins légers et chaleureux qu'à l'habitude ! 

Lui comme coincé, moi, blessé dans mon amour-propre. J'étais la France accusée de vol entre deux chansons, serait-ce par un copain de taverne accusant sans preuve. Nous sommes encore à l'âge où la réflexion, les réactions manquent de souplesse.  
 
Cette histoire ramène dans les soubresauts de la seconde guerre mondiale, au sens large, avec la “montée vers la guerre”, le chaos salement dit et les embrouilles qui suivent. Des documents, déclassifiés, remontent à la surface, tels ceux qui confirment que le capitalisme  a généré  sa créature : Hitler... Cela aurait-il changé de nos jours, avec le financement, d’abord des talibans puis des groupes terroristes ? Mais pour l’oligarchie de l’argent, (qu’ont-ils d’humain, en fait ?), spolier les nations, détrousser les peuples, escroquer les particuliers relève d’une même logique bancaire ! Notre époque en perdition à cause de la banque, bras armé tout puissant des milliardaires, ne déroge pas à la règle... Cette réalité crue devient de moins en moins contestable tout comme nous pouvons évaluer combien les principes démocratiques, de solidarité, de respect, ne sont que des mots destinés à endormir, à tromper les moins favorisés quand la petite minorité de puissants confisque toujours davantage à son profit. 

Que lui est-il passé par la tête ? L’invasion par les troupes du Pacte de Varsovie ne date que d’un an et cela peut rappeler la politique anglo-française délétère, l'hypocrisie des États-Uniens, l’assujettissement aux nazis, une trentaine d’années auparavant. 
    Près d’un demi-siècle est passé et si le temps et l’ordinateur permettent désormais de reprendre les sujets en suspens, il n’y a vraiment pas de quoi lever nos chopes, l'ennemi étant plus que jamais la finance ! 
    C’est donc une recherche sur le Net qui est à même de dire si j'ai volé. (à suivre)

carte autorisée : carte Tchécoslovaquie 1939 Auteur autorisation SVG Czechoslovakia 1939.SVG derivative work Themightyquill     
   

vendredi 6 janvier 2017

TITIN DE TOUS LES REFRAINS ! / De l'importance des surnoms !

André, c’est ce petit garçon assis en tailleur sur une table du casino disparu de Saint-Pierre-la-Mer (1). En short, il porte un marcel tricolore. Juste à côté, sur des chaises bistrot pliantes dans une version tube, plus solides apparemment que celles, plus classiques, en fer plat, ses parents, des couples proches, des amis, une bonne quinzaine de personnes, une joyeuse assemblée qui boit de la limonade et de la bière. Peut-être panachent-ils ? On distingue le col blanc dans les verres à pied ; on reconnaît les bouchons à levier en céramique avec le joint de caoutchouc. Sur la photo ne manquent que la couleur, les rires, les éclats de voix, et pourquoi pas quelques airs à la mode avec, de temps à autre, le pschitt d’une bouteille se mêlant à la conversation, accompagné de ce tintement caractéristique de la céramique sur le verre, en préambule au plaisir.
 

Des chaussures en toile, des bretelles, des pantalons larges, un béret,
Une cravate, un chapeau de paille, des robes tabliers, un ceinturon
Des manches courtes, des moustaches, des serre-têtes, des chignons...
Un inventaire moins inspiré que celui de Boris Vian dans sa Complainte du Progrès même si j’ai essayé d’en respecter la mélodie. Pardon, pardon de changer d’époque sans raison : la scène à la terrasse du casino est de 1938 et non de 1954. Il flotte une atmosphère de congés payés, de cette douce insouciance refusant de voir les signes annonciateurs d’une Europe au bord du suicide.
C’est la vogue des opérettes marseillaises synonymes de douceur de vivre au soleil du Midi. Ça chante le cabanon, le pastis, la pétanque, les pescadous, la bouillabaisse, la Canebière et le pays qui manque quand on monte à Paris. Ainsi Vincent Scotto qui a mis le Midi en musique, évoque-t-il la nostalgie des pins, des cigales dans sa Venise Provençale, Martigues, la ville entre l’étang de Berre et le golfe de Fos (sans les pétroliers en rade ?). Dans ses personnages figure aussi Titin des Martigues, joué par Henri Alibert...       

Sûr que « Le Tango Merveilleux » et « Ma Chiquita » devaient passer souvent à la T.S.F. car, à cause de cette opérette (filmée aussi en 1938), le petit garçon qui joue ou gesticule avec un objet allongé, une boîte ou un éventail emprunté aux femmes qui le couvent, sur une table du casino fut surnommé Titin.
Pas plus tard qu’hier, André, maintenant octogénaire, m’a repris quand j’ai dit «Tintin » (2) tout en avouant ne rien savoir sur l’origine de son surnom. C’est son aîné et complice d’alors, mon père, maintenant nonagénaire, au premier plan avec le béret et les chaussures de toile, qui a levé le voile en trois mots seulement : « Titin des Martigues » !

(1) Outre l’édification des blockhaus, l’immersion de chevaux de frise, le creusement de canaux antichars,  les champs de mines, la destruction du casino et des villas d’avant-guerre caractérisait le dispositif de défense allemand contre un éventuel débarquement allié (guerre 39 - 45).
Encore une chanson où seul le mouvement de la mer est en contradiction :
«... Tu cherches des morceaux d'hier pépère
Dans des gravats d'avant guerre
L'Casino c'est qu'un tas d'pierres.../
... La mer est déjà repartie
Le vieux casino démoli, c'est fini
Pépère t'aurais pas comme une vieille nostalgie...» A. Souchon.
 Y'a de la rumba dans l'air, Titin... ça change du lac des cygnes... je sais et puis, ton smoking à toi n’est pas de travers, comme chez Souchon...
(2) en grand ordonnateur mais non sans logique, s’agissant du prénom Augustin (sauf erreur de ma part), le hasard a attribué ce même surnom "Titin" au boulanger dont la maison se trouve dans ce même quartier (la rue Neuve, juste au-dessus de la rue des Barris d’André). D’où ma méprise...  

En complément :
1. à écouter https://wn.com/titin_des_martigues_1937
2 & 3. à consulter http://www.imdb.com/title/tt0194452/combined
https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9rette_marseillaise

A papa qui se bat contre un avc avec toute sa tête, à André l’ami lointain toujours présent.
 
Photo de famille : la terrasse du premier étage (accès par un escalier monumental)... merci à qui voudra bien envoyer une photo du casino, assez monumental pour une station balnéaire plus fournie en campement disparates sur la plage qu'en hôtels et villas en dur...

lundi 21 avril 2014

„AT' JE HORKO, když je pivo [1] !“ „La goulée de bière“ / Československo / Holoubkov, ma forêt perdue...

„Ať je horko, když je pivo [1] !“  „La goulée de bière“.

Sur la petite route qui monte, le bitume fond et ma semelle accroche les graviers du bord. Le džbanek bleu et ventru balance au bout du bras. Les pensées vagabondent vers la prairie toujours verte. Derrière la grange aux airs de chalet, la forêt somnole sur ses mystères. La nature retient sa respiration : elle espère la fraîcheur du soir. A mi-chemin  environ, de la Cementarna, après le tournant qui descend, une sente longe le fond du champ de blé : de lourds épis se courbent vers le sol et penchent les tiges. Au-delà, un talus déboule sur les voies du chemin de fer.
Avant de traverser, tournant lentement la tête, j’embrasse du regard l’espace dangereux. Comme le fait la biche qui sort des bois, qui elle, hume longuement et bouge les oreilles prête à gagner le couvert. Il faut écouter, regarder, palper l’atmosphère. Lourde, pesant sur un espace de fer et de houille, elle entraîne des polygones d’air diaphane dans une sarabande kaléidoscopique. Venant de Prague, surtout, c’est dangereux : les trains surgissent sans crier gare, avec la complicité d’une légère pente. C’est quelque chose une locomotive lancée ! On ne l’entend que lorsqu’elle est passée, rien ne l’annonce : elle ne souffle pas, ne fume pas et si ce n’étaient les petits jets puissants qui lui font, au niveau du bissel, comme des barbillons, si les bielles et les manivelles ne s’affolaient pas autour des grandes roues, on croirait que la chaudière est éteinte. Sous ce ciel d’été exacerbé, l’immobilité de l’air est aussi trompeuse que la rouille des voies de manœuvre et de garage. Un bruit ! ce n’est rien : une ferraille seulement qui se dilate et claque. Au-delà, plus question de vagabonder ; un instinct commande de traverser au plus vite, de ne pas se laisser fasciner par ce scintillement à blanc qui court sans fin sur les rails ; ce n’est plus le moment de fixer le poste d’aiguillage où quelques panneaux vitrés sont relevés pour faire courant d’air. Sous la lumière crue de l’après midi, tandis que l’esprit continue de sonder un silence frémissant, il faut assurer son pas sur les traverses et anticiper au bout que la voie, dans cette courbe, est relevée. 

Locomotive en gare d'Holoubkov / Diapo d'août 1970 prise par François Dedieu (mon père) qui n'était pas conscient de l'interdiction de photographier les sujets sensibles dont les machines à vapeur...  
 
En bas de la route menant à la gare, le lac frissonne de toutes ses vaguelettes. La taverne est vide à cette heure. Des buveurs du soir, il ne reste qu’une odeur âcre de tabac froid dans la relative fraîcheur. La patronne paraît ; elle arrive de la cuisine sans doute. Pendant qu’elle manie la tireuse, elle prend plaisir à questionner sur mes impressions de petit Français puis c’est moi qui l’observe alors qu’elle s’obstine, de sa spatule en bois, à faire tomber plusieurs fois un bouchon de mousse qui n’arrête pas de se reformer en haut du pot. Elle, souriante, grande, blonde, cendrée presque : des cheveux fins mais si nombreux qu’ils lui font une touffe épaisse. Malgré la pénombre, ses pommettes marquées s’accordent avec le rose de ses lèvres fines et contrastent avec son teint pâle. Je n’ai pas l’âge des comparaisons, je ne me sens pas dépaysé mais je suis si loin de la Méditerranée.
Dehors pourtant le soleil cogne fort, comme plus au sud. Retour vers la maison par le raccourci interdit, seulement toléré. Précédant la partie voyageurs, le hangar de service paraît écrasé de canicule sous ses grands avant-toits. En face, des wagons plats attendent, alanguis, le long du quai des grumes où les troncs s’empilent. Côté Prague, pas de signe avant-coureur. Venant de Plzeň, dans le sens de la montée, même un convoi léger, l’omnibus par exemple, se repère sans peine, parce que la machine souffle, forcée qu’elle est de maintenir la cadence, annoncée par des panaches vifs qui bourgeonnent et se détendent au-dessus de la pointe noire des sapins, dans le vallon de l’étang de Hamr. Le passage est libre. J’avance, donc, avec le pichet de bière. Après les voies rouillées où un train de marchandises et une voiture réformée font la sieste, au moment de traverser sur la double ligne de rails aux éclats d’acier bien trempé qui voudraient nous attirer dans l’univers des étoiles, j’arrête, suspendu, pour lever attentivement la tête, dans une direction, puis dans l’autre, avant de m’engager en regardant où je mets le pied. J’ai à peine avancé de trois pas, les yeux baissés sur un monde bistre de traverses et de ballast souillé, qu’un grincement terrible déchire le calme et me propulse littéralement en avant. Là-bas, le bras du sémaphore vient de se lever, me sommant de fuir au plus vite, ce qu’un claquement d’aiguillage confirme aussitôt. Inutile de savoir si le chef de gare a actionné la longue sonnerie d’alerte, je ne me sens mieux qu’une fois en-haut du talus. Pas une goutte de bière n’a versé ! La forme du pot peut-être…
Le champ de blé, l’asphalte qui fond, me voici rendu. Toujours pas de train à l’horizon. Tout le monde attend dans le jardin, près du chantier. Sur le džbanek bleu et ventru qui passe de mains en mains, une rosée de bon aloi mouille les doigts. Ah ! une bonne goulée, à peine retenue en bouche, qui picote la langue, le palais, avant de plonger sa fraîcheur tonique dans les profondeurs sous la luette en stalactite, qui finalement vous soutire un soupir de bonheur et une fine moustache de mousse sur la lèvre. Du coup, le temps à l’orage se fait moins oppressant. Dans les rires, chacun se sent inspiré, les plus en verve orchestrent la conversation, je sors l’harmonica de ma poche, pour souffler n’importe quoi, tel un oiseau sur sa branche.
Encore aujourd’hui, quand je bois une bière, je m’efforce, sans rien en dire, d’entonner une belle goulée, de celles qui vous font passer pour un goulu, surtout pas une gorgée, je dis bien une belle goulée qu’on ne peut empêcher de picoter, de pétiller, et qui laisse tant de choses avant de plonger. Et quand elle fait briller mes yeux, je revois dans un kaléidoscope embué, mes grandes vacances en Tchéco, ces chers paysages, les locomotives qui rythment nos jours et les visages aimés qui me sourient. Un air d’harmonica chevrote sous le sorbier et je vois même, accrochée sur ma socquette, la bardane griffue ramenée du sentier.  


[1] « Qu’il fasse chaud, à partir du moment où il y a de la bière ! »