Affichage des articles dont le libellé est Sorgeat. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Sorgeat. Afficher tous les articles

jeudi 7 février 2019

L'AMANDIER / Terres du Sud.


Cette fois, ça y est, des échos viennent du pays, par mami et Laeti, pour me dire que le messager s'est annoncé, non dans un nuage de poussière mais par "un essaim de papillons blancs"...  

Ma « cueillette » de l'an passé mais intemporelle : 

« O vieux amandiers du pays,
Je vous aime et je vous vénère
Couverts de fleurs ou de glaçons,
Vous, dont plus d'un est centenaire,
Vous qui restez quand nous passons […]

Amandiers que l'Autan, dans sa rage jalouse,
Plume, pour étoiler les prés ou la pelouse
D'un essaim de papillons blancs… »

Pierre Marfaing Poèmes d’Ariège, 10 francs, FOIX Typographie Pomiès, Fra & Cie successeurs, 1930 (sur le site de Sorgeat décidément très vivace ! http://sorgeat.free.fr/mem.php). 


Le mont Canigou depuis le Barcarès author Leguy French Wikipedia.

Pyrénées Depuis les orgues d'Ille-sur-Têt, le Mont Canigou author Babsy
Ce piémont ariégeois fermé au midi par la superbe barrière enneigée des Pyrénées, une vision depuis le Pédaguès et l'Aganaguès, au-delà du Plantaurel et du Massif de l'Arize, belle et vive comme une truite, où on se prend à fredonner l'air de Gaston Fébus, SE CANTO, QUE CANTO, fédérateur de l'âme occitane : 

"... Dessús ma fenèstra
I a un ameliè
Que fa de flours blancas
Coumo de papièr

Aquelas flours blancas
Faràn d’amellous
N'emplirem las pòchas
Per ieu e per vous..."

(Au-dessus de ma fenêtre, il y a un amandier qui fait des fleurs blanches comme du papier,
Ces fleurs blanches feront des amandes tendres (1) qui rempliront nos poches pour moi et pour vous...).

Dernière idée liant malheureusement une histoire d'amour à la grande Histoire... 
Histoire d'amour pour un Gaston Fébus, moins doux et recommandable que ne le laisserait penser sa chanson, au regret d'avoir répudié et renvoyé sa femme Agnès pour une histoire de dot.

Toujours dans Se canto, que canto, la chanson devenue hymne de l'Occitanie : 
 
"... Aquelos mountanhos
Que tan nautos soun
M'empachoun de veïre
Mas amours ant soun..." (ma transcription en languedocien) 

(Ces montagnes Qui si hautes sont M'empêchent de voir Où mes amours sont).   

Histoire tout court, brutale, sanglante, qui, en février 1939, voit les Républicains espagnols passer la montagne pour se réfugier en France (La Retirada). 

Ces chroniques ont pour cadre les Pyrénées qui ne sont pas la barrière qu'elles semblent former, entre le Béarn et la Navarre, entre l'Aragon, la Catalogne, l'Occitanie et notre pays catalan. Il ne faut pas s'en tenir à une définition sans nuances puisque ces pays partagent le rouge et le jaune, le sang et or de leurs couleurs, des langues sœurs et imbriquées (Fenouillèdes, Val d'Aran), des vignes, des oliviers, des amandiers, des migrants d'une même maisonnée...  

Détail ultime cité par Mistral sous la dénomination "CH. POP." (chanson populaire) mais dont la scansion semble calquée sur Se canto, comme une variante (elles sont aussi nombreuses que les pays et terroirs occitans !) : 

"... Aquéli flour blanco
Sèmblon d'ameloun
Mai soun pas tan douço
Coume si poutoun..." 

(Ces fleurs blanches Semblent des amelouns Mais ne sont pas aussi douces Que ses baisers).  


(1) Frédéric Mistral (Trésor du Félibrige) parle de "petite amande, amande qu'on mange verte", peut-être pas encore à terme ("...L'amande verte désigne un fruit qui n'est pas mûr ou pourri, récolté en juin et juillet, d'aspect tendre et laiteux et de saveur délicate..." Wikipedia).
Les expressions citées par Mistral pour expliciter l'entrée semblent confirmer :
* Suça jusqu'à l'ameloun, sucer jusqu'à la moelle.
* gela coume un amelloun, gelé jusqu'aux os... (l'amande est la graine de l'arbre, issue de la fécondation du pistil, un carpelle entouré d'étamines. Cette graine parfois jumelle (philippin, philippine*), rarement triple ou même quadruple (porte-bonheur protégeant de la foudre et des... hémorroïdes !) se forme à partir d'une gelée originelle.  
* philippin, plilippine jeu qui consiste à partager l'amande bessouno, le premier revoyant l'autre gagne s'il salue d'un "Bonjour Philippine !)
 

 

mardi 12 décembre 2017

ET A SORGEAT ? Les neiges d’antan... l'abattage du cochon



  
Je reviens à Sorgeat, petit village heureux car un peu à l’écart de la route d’Ax. 
 
C’était quand déjà ? Il y a bien trois ans pour un sermon magnifique du curé parce que « mes trois curés » qui ne poussent pas la chansonnette (à Cucugnan, à Melotte, à Sorgeat) ont nourri une petite anthologie plutôt liée aux fêtes locales, avec, en prime, dom Balaguère, le chapelain des trois messes basses sur les pentes du Ventoux « Deux dindes truffées Garrigou ? »  (Alphonse Daudet).
  



 Noël qui pointe vers l’horizon de décembre me pousse sans doute à marier les nourritures terrestres et célestes… le sacrifice de l’animal en fait partie.

Le site sur Sorgeat consacre plusieurs pages à l’abattage du cochon (à voir absolument, avec des photos très parlantes).


Le préambule rappelle que la domestication de l’animal est ancienne, certainement liée aux débuts de l’agriculture, à la sédentarisation au Moyen Orient. Cela n’a rien d’anodin en ce début de troisième millénaire qui s’aveugle et perd le sens de la vie qui est la mort, qui assimile élevage et cruauté et qui, quand il ne tue pas par procuration, croit qu’on n’estourbit pas une salade en la cueillant pour la manger !
L’abattage du cochon a beaucoup compté dans l’économie paysanne, presque autarcique. Il marquait une époque où la viande du boucher s’apparentait à du luxe, où les flux financiers se limitaient au porte-monnaie et au bas-de-laine. Comme ceux qui ponctuent les saisons, un temps de solidarité villageoise regroupant plusieurs fois dans l’hiver, la communauté, les parents, les amis, les voisins, dans les travaux, les festins partagés aussi, célébration de la vie plus forte que la mort !  

A Sorgeat comme partout, le cochon qui sait que ce n’est pas l’heure de sa promenade bi-hebdomadaire, ne veut pas quitter le bien-être de la soue. Il faut cinq ou six hommes pour le sortir d’autorité, l’amener de force vers la maie retournée. Lou tuairo, le tueur l’a hameçonné sous la mâchoire avec le gantchou (1), crochet de boucher d’un côté et largement recourbé de l’autre.



Bien obligée de suivre, la bête est renversée sur la maie, la tête dans le vide. Passant la courbe du gantchou derrière la saignée du genou, les mains libres, le tueur rase la gorge offerte pour trouver puis sectionner l’artère avec son couteau pointu, la gabineto. Le sang coule au rythme des battements de cœur. Le cochon reste calme mais il faut retenir la tête et les pattes pour prévenir les spasmes de la mort.
Ensuite le porc est ébouillanté. Détail d’importance à Sorgeat, l’eau ne doit pas bouillir longtemps sans quoi les hommes en colère se fâcheraient : « I as coupat la forço ! ».
Nous ne sommes qu’à un peu plus de vingt kilomètres, à vol d’oiseau, de Lavelanet et la langue locale diffère sensiblement, de part et d'autre du massif de Tabe, du Saint-Barthélémy. La barre de bois pour pendre la carcasse s’appelle ici « la courbo » et non plus « cambalhot ». Le tueur détache alors l’anus, la « tripo dal ciul » pour éviter de souiller la carcasse.
Il ouvre le poitrail à la hachette puis l’abdomen au couteau. Il fait ensuite descendre les viscères dans une corbeille en noisetier, la desco.
Les hommes portent la tête à la fontaine pour l’ouvrir et la laver, suivis par les femmes qui ont un sacré boulot avec les tripes, la vessie, l’estomac, les doigts gourds et gercés par l’eau glacée.
  

Avec souvent la neige dehors, les températures basses permettent de laisser reposer la carcasse au moins deux jours.

Une collation et l’eau de vie, l’aïga ardent, concluent le rude travail tandis que dans la cour, la maie se vide petit à petit pour ne pas perdre les soies qui seront vendues au peilharot, le chiffonnier ambulant qui prenait aussi les peaux de lapin.   
   

Note : cette tradition du cochon se retrouve dans toute l’Europe. En Bohème, elle figure sur les tableaux de Josef Lada (ici de 1935) presque comme en Languedoc. La maie, de quoi retourner la bête, l’eau bouillante, la carcasse pendue… seule la hache bien en évidence laisse penser que la bête est exécutée avant d’être saignée. Comprenne qui voudra…  

((1)   Gancho = croc, harpon (Trésor du Félibrige / Frédéric Mistral)
 

 Photos autorisées commons wikimedia : 
1. Sorgeat, Ariège, author Jack ma.  
3. Sorgeat, fontaine, author Jack ma. 
Autres crédits : 
2. gouache tirée d'une photo du site Sorgeat. Manquent les flocons de neige ! 
4. Zabijacka, gouache de Josef Lada, 1935. 
5. détail Josef Lada.