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mercredi 15 février 2023

LA NOURRITURE, avant, dans nos contrées... (1)

Un résumé d'un très bon article " L'alimentation en Languedoc et dans le Comté de Foix de 1850 à nos jours " de la revue Folklore n° 61, hiver 1950, par René Nelli (1906-1982), poète occitan, philosophe, historien du catharisme. 
L'âge me le permettant désormais, je joins, dans le troisième volet, ce qu'on mangeait à la maison et au collège en demi-pension, dans les années 60... et là il faudra m'aider pour tout ce qui m'a échappé... 

Sorgeat licence wikimedia commons 3.0 Unported Author jack ma

Vers 1828, dans la montagne d'Ax-les-Thermes, entre la farine de sarrasin, le lait, les patates et jamais de pain, l'ordinaire était plus que limité. L'auteur confirme les disettes récurrentes de 1845, de 1853. En 1846, le préfet écrivait au ministre " On ne vient pas à bout du désespoir avec des bayonnettes. ". En temps normal, la situation des paysans est aussi misérable qu'insuffisante. Avec 10,20 francs par semaine, un journalier peut à peine nourrir sa famille de 5 enfants sans acheter de viande, seulement 2 douzaines d'œufs. la situation ne connaîtra une amélioration qu'à la fin du XIXe siècle. 

Cassagnoles Montagne Noire Hérault Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Tybo2

Dans la Montagne Noire, c'est un peu mieux si on peut faire venir le cochon, avoir une chèvre et cultiver un potager (légumes verts, graisse, lait). Dans la montagne on cuit du pain de seigle, en moyenne altitude, on mange du millas. Ils ne boivent du vin que pour les grandes fêtes et lors des grands travaux (fenaison, moisson) c'est le propriétaire qui fournit. Du vin ils en auront quand ils pourront se payer une vigne dans la plaine... ce sera toute une expédition pour l'entretenir et vendanger (voir les derniers épisodes des filles du Poumaïrol). 

Pour remplacer la viande, au moins en avoir l'odeur et un peu le goût, il est d'usage d'utiliser le " sabourial ", un morceau de lard plus que rance enfermé dans un tissu cousu, trempé un moment grâce à une ficelle dans la soupe aux choux avant puis mis à sécher à nouveau sous le manteau de la cheminée. 

Ferme caussenarde Causse Méjean Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author HPB48150

Sur les Causses, les gens mangent aussi la soupe aux choux, du lait caillé ou du fromage, des pommes-de-terre, du potage au riz. le pain est toujours d'orge ou de seigle. 

En Lozère, la disparition des grandes fougères fut préjudiciable aux troupeaux qui en disposaient malgré la neige et surtout aux abeilles.

 


Dans les Cévennes, sous forme de bouillies, de galettes, de soupe, de castagnous au lait, les châtaignes permettent de tenir la moitié de l'année. partout, le mildiou a causé une grave crise dans la production de pommes-de-terre. 

Plaine de l'Aude depuis l'Alaric au niveau de Barbaira creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Tylwyth Eldar

En plaine, on mange mieux (80g/j de viande en moyenne (boucherie, volaille, gibier)sinon du poisson, des oeufs et 1/2 l de vin. pourtant, à Carcassonne le pain est la nourriture principale (le Baron Trouvé en donna un détail trop optimiste). Les tisserands ne disposaient souvent que d'un œuf unique écrasé dans une sauce très allongée (farine, ail, persil) pour y tremper le bout de pain. Parfois il y a des harengs mais pas de viande. Les salaires ne permettent pas une nourriture suffisante. Les ouvriers agricoles et valets de ferme sont mieux lotis que les artisans et ouvriers Jusqu'en 1914, la différence de situation était grande entre les favorisés et les pauvres. 

Vue vers Lespignan de la plaine de l'Aude depuis la route entre Fleury et Les Cabanes.

 
Agde le Port début XXe siècle Domaine public Auteur Spedona

Dans la plaine littorale, au début du XXe siècle, on mange de la morue, des harengs saurs, des échalotes, tomates, piments et ail, une nourriture méditerranéenne aussi chez les Italiens et Espagnols qui économisent pour acheter une vigne.  Au bord de la mer, le poisson a nourri la population côtière durant trois siècles (bourrides). L'huile d'olive et le miel ont de toujours augmenté la valeur nutritive de la nourriture.           

jeudi 24 novembre 2022

Une VIRÉE au PAS-de-la-CASE

Pays de Salt Roquefeuil_Espezel_Belvis Auteur Jcb-caz-11 licenceCreative CommonsAttribution-Share Alike 4.0 International.

Dans l'environnement voisin du département, en direction du Sud, on se retrouve vite en Espagne, juste derrière la chaîne des Pyrénées. Parfois c'est seulement l'occasion d'une escapade touristique par la Côte Vermeille, souvent le but est d'aller acheter à la frontière où les prix sont moindres. Au Perthus, les acheteurs font des affaires ; l'autre destination est la principauté d'Andorre. Si seulement l'agrément des paysages comptait autant, le trajet pour le Pas-de-la-Case est des plus dépaysants. Depuis Fleury, en voiture particulière et à condition de partir tôt le matin, la route des Corbières, Quillan, le Plateau de Sault permettent de rejoindre la vallée de l'Ariège et, par Ax, de monter en Andorre ; elle fait passer de la Méditerranée à la montagne, des vignes aux sapins, aux champs de patates, au plaisir exotique des vaches au pré et enfin aux rocailles de la haute montagne. Plus direct et rapide, l'itinéraire par Carcassonne-Pamiers-Foix-Ax est plus adapté s'il s'agit de faire des achats, en voiture particulière ou en bus pour un voyage organisé. L'accès au Pas-de-la-Case a été bloqué vingt jours, entre avril et mai 2019 à cause d'un éboulement... il est logique de penser qu'en hiver, à 2000 mètres d'altitude, la neige puisse fermer le passage...   

Dans ces années que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître, avec le tabac et l'alcool, le principal motif reste la nourriture : beurre, sucre, charcuteries... Et les stations de ski s'offrent aux amateurs qui peuvent se le permettre. 

De nos jours, l'intérêt pour remplir le frigo ayant bien diminué (et L'Espagne étant plus accessible et plus intéressante), on va en Andorre principalement pour les cigarettes et l'alcool, pour des vêtements, chaussures, lunettes, équipements de ski et de sports divers... les habitués me corrigeront vu qu'il y a bien dix ans que je n'y suis allé, que le 22 juillet 2022 cela a fait vingt ans que j'ai arrêté la cigarette, que le pastis, c'est surtout s'il y a quelqu'un et que je n'ai à déclarer qu'une averse de neige un 5 ou 6 août de je ne sais plus quelle année...     

Pas-de_la_case licenceCreative CommonsAttribution-Share Alike 2.0 France. Auteur Cevenol2

Si vous envisagez d'y aller, ci-dessous, les quantités autorisées en douane, par personne (à diviser par 2 pour les mineurs exceptés l'alcool et le tabac qui ne leur sont pas autorisés) : 

Par personne 1 kg café ou 400g de soluble, 200g thé, 1,5 litre de pastis, 300 cigarettes ou 150 petits cigarillos ou 75 cigares, 75 g de parfum, 900 euros d'achats autres, 300€ d'achats pour les autres productions agricoles sans dépasser 2,5 kg de lait en poudre, 3 kilos de lait concentré, 6 l de lait frais, 1 kilo de beurre, 4 kilos de fromage, 5 kilos de sucre ou sucreries ou 5 kilos de viande. 

Les visiteurs qui dépassent les quantités autorisées s'exposent au paiement de la TVA s'ils déclarent et certainement d'une amende s'ils sont pris à passer en fraude. 

En amont de cet article, un reportage est passé à la télé sur le retour d'Andorre : des milliers d'euros d'amende pour trop de parfums, les douaniers qui courent en vain derrière des passeurs qui grimpent (ils ont fait mine de les poursuivre pour donner une image positive vu qu'ils étaient filmés... l'un des passeurs s'est quand même débarrassé de son ballot de cartouches sanglé avec du plastique collant en forme de sac à dos).  

Alors que la TVA est en moyenne de 20 % en Europe, l'Andorre attire avec son taux à 4,5 % (la part de ce commerce représente le 1/4 des entrées pour la principauté / une taxation de 10 % des bénéfices ayant ou devant changer cette situation). 

Au-dessus du_Pas_de_la_Case_-_panoramio Auteur Gilles Guillamot Creative CommonsAttribution-Share Alike 3.0 Unported.

Quand la cartouche du " chameau " ou du " cow-boy " vaut 36 euros en Andorre, il en coûte 56 en Espagne et 110 € en France, ce qui ne peut que stimuler une contrebande en plus du trafic international à l'arrivée des avions et, plus dangereux lui, celui des conteneurs dans les ports de commerce. 

Une loi prévoyait un prix qui ne pourrait pas être de plus de 35 % moins cher qu'en France et en Espagne, ce qui donnerait 71,5 euros par rapport au prix français, or les 36 euros correspondent, me semble-t-il à une différence de 35 % avec l'Espagne... le trafic peut se poursuivre avec, en corollaire, l'exploitation d'humains, tels ces mules quand on évoque la drogue. En septembre 2018, suite aux indications d'un randonneur, les autorités ont récupéré 150 cartouches cachées dans un orri, un des nombreux abris de bergers, côté français du Port de Rat (à l'autre bout de la frontière franco-andorrane). Toujours en 2018, en novembre, un passeur, "a priori originaire d'Afrique du nord" a été retrouvé inanimé à cause du froid. A l'hôpital il n'a pas été possible de le ramener à la vie. Sur place, le ratissage a permis de mettre la main sur une centaine de cartouches tandis que d'autres "contrebandiers" ont fui pour se réfugier en Andorre.  

Concernant la nécessité de devenir raisonnables, notons que la réalisation d'un aéroport de l'autre côté du Port d'Envalira a été abandonnée, de même qu'une jonction entre les domaines skiables de Granvalira et Porté-Puymorens. Vu la nouvelle crise de l'énergie et le changement climatique qui se confirme, on ne va pas s'en offusquer. 

Pour conclure, alors qu'avec l'hiver et la nécessité d'équiper son véhicule en montagne, du 1er novembre au 31 mars, ce qui constitue un surplus pour quelqu'un de la plaine, plutôt parler de l'Andorre pour ces étapes cyclistes spectaculaires du Tour de France ou de la Vuelta... en dépit de tous les signes de dopage...  


mercredi 31 août 2022

Du ROUSSILLON catalan au FENOUILLEDES occitan...

 Demi-tour. Avant, un filet faisait suite à la poche grillagée du large tenillier. A présent le pêcheur amateur doit relever son petit appareil bien plus souvent, trier les prises et garder celles qui font la maille, avec une marge, l’équivalent de la dernière phalange de l’index, soit plus de deux centimètres. Où les mettre ? Le short de bain a des poches plus que suffisantes pour une assiette de tenilles.  

En piétinant, courbé sur le manche, je plains le vieux paysan de Millet sur la glèbe, dans la survie, lui. Ma position est incommode mais ce n'est qu’un loisir sauf qu'il s'agrémente d'un point de vue, pourtant au ras de l'eau, de part et d’autre : la courbe du Golfe du Lion rendue splendide parce que la Terre est ronde, une sensualité d’autant plus émouvante qu’une carte de qualité n’arrivera jamais à rendre, avec une prédisposition impérieuse à se faire la belle dans tous les sens de l’expression... Pardon mais quand on se grise de sensations... « heureux comme avec une femme » disait Rimbaud (Sensation) il n'y a aucun hasard dans la beauté des rondeurs... Y est-on déjà sensible, à quinze ans passés seulement, sans expérience ? Il n'y a pas d'âge pour une volupté de gourmet ? 
En partant des Pyrénées, les montagnes bleues descendent embrasser la mer et mettent sur un cou de déesse, un collier de plages d’or jusqu’au pêcheur-penseur hédoniste. L’esprit revient mais sur un orbe moins lointain, un deuxième cercle.

Perpignan, le dépaysement des palmiers, la gare stimulant «l’éjaculation mentale» «l’extase cosmogonique» de Salvador Dali, plus que des mots puisque l’huile sur toile mesure trois mètres par quatre ! La gare aussi des femmes assassinées si un fait divers doit venir délaver, ternir et choquer quelque peu le fantasmagorique du propos. 

Camp_of_Rivesaltes_5_October_1942 départ du 8e des 9 convois de déportés juifs. wikimedia commons Auteur tracy Strong

Rivesaltes, les fèves de février, les cinq variétés de figues du marché de septembre sur la promenade... Mais sont-ils encore là les platanes malmenés lorsque la modernité, le changement à tout prix vient balayer le respect du passé ? Avec ce coup au moral, le camp Joffre aussi, de rétention, d'internement sinon de concentration, un camp aujourd'hui militaire, de triste mémoire, pour les Républicains espagnols, les Juifs, les Tziganes, les prisonniers de guerre, les indépendantistes algériens, les Harkis ainsi que pour "l'accueil" des supplétifs de l’armée française des colonies en Afrique, en Indochine.   

Estany_de_Salses_(agost_2013) wikimedia commons Auteur Elizir

  
La morne platitude de la Salanque, les vendanges dans le Roussillon, dans un petit roman : «Adoracion», une perle écrite depuis Le Caire vers 1945, par François Tolza, un auteur dont la trace semble perdue : je ne connais de lui que le nom, rien sur le réseau. Salses, sa forteresse de ville frontière. L’Etang de même nom sans les hydravions testés pour la ligne de l’Aéropostale jusqu’au Brésil, mais avec les maisons de roseaux, les élevages de truites dans l’eau de résurgences généreuses, les huîtres dans cet Etang dit aussi « de Leucate », au pied de ces Corbières Maritimes qui pointent à 700 mètres d’altitude à seize kilomètres à peine des falaises de  Leucate-La Franqui.

Invitations aux voyages avec Henri de Monfreid loin vers Bab-el-Mandeb, Jacques Lacarrière qui ne pouvait mieux terminer sa marche à travers la France que face à cette mer, au-dessus des flots d’un bleu unique, sous une lumière aussi éclatante qu’en Grèce, le pays qui le fascina, interdit, à l’époque de sa marche, par la dictature des colonels.

Sur les hauteurs pelées qui malheureusement viennent d’être parcourues par un énième incendie d’été, la tour de guet en bas de laquelle se niche, invisible, le village d’un des plus vieux humains d’Europe, celui de Tautavel. Plus haut, peut-être emmêlées avec celles du château d’Opoul, une masse ruiniforme impressionnante évoquant d’inévitables conflits sanglants. 

Caudiès-de-Fenouillèdes_Notre-Dame-de-Laval wikimedia commons Auteur ArnoLagrange

Au couchant, les pensées, rêveries et l’imagination se libèrent à nouveau vers la boutonnière du Fenouillèdes, en bas des Corbières, ce quadrilatère peu accessible et si prenant à explorer. La barre rocheuse continue, à peine entrouverte par les gorges de Galamus formait frontière avec l’Espagne ; tel un dé sur son doigt, le château de Quéribus confirme. A l’autre bout, plus convivial, le col de St-Louis où, avec les marchandises, s’échangeait aussi, paraît-il, le dialogue devenu dicton : « Catala bourrou, gavach porc ! » (Catalan âne, occitan porc... pas simple de définir le «gavach»... on est souvent le gavach de quelqu’un dans notre Sud ; traduit par « étrangers », « montagnards »... aussi rustres et mal dégrossis les uns que les autres, le sens ne se limite pourtant pas à cette nuance péjorative). 

mardi 16 août 2022

DU CONFLENT au MASSIF DE L'ARIZE


Le Train Jaune, la route qui monte vers Mont-Louis, toujours Vauban ; le Capcir des premières descentes à ski aux Angles, piste verte ; les débuts de l’Aude, là-haut dans la montagne, qui, suite au Capcir, nous parle de petits pays attachants : le Donezan, Querigut, Le Pla et une main de villages rapprochés nous laissant croire que le plateau n’est pas morose, un pays audois en pratique puisque coupé de son entité administrative ariégeoise par le Port de Pailhères à plus de deux-mille mètres d’altitude, connu même pour le Tour de France.


La Cerdagne de Gastibelza l’homme à la carabine» (Brassens), Bourg-Madame, Puigcerda en Espagne voisine, le destin historique de l’enclave étrangère de Llivia alors que les villages voisins sont devenus français.

Plus haut, par des cols escarpés dans la rocaille, l’Andorre, l’exotisme, le particularisme encore, l’attraction de ce qui nous est étranger.

Ax-les-Thermes, l’embouteillage historique, pas d’une eau minérale mais celui de la descente automobile d’Andorre d’avant la voie d’évitement, ses eaux chaudes, le téléphérique vers Bonascre et le ski. Les vallées de l’Ariège, de l’Oriège, des chercheurs d’or. La vallée d’Orlu, un nom de montagne qu’on n’oublie pas : la Couillade des Bourriques. Sorgeat, un petit village sur la route du col du Chioula, à la mémoire gardée vivante par ceux qui ont à cœur de ne pas l’enterrer (ils ont même gardé un sermon de curé pas piqué des vers !).

Côté soulane la mine de talc de Tremouns, de l’autre, la beauté sauvage du Plateau de Beille ; entre les deux, au fond la vallée glaciaire où la circulation est dense, surtout le week-end, vers et au retour d’Andorre.

Les Cabannes, Tarascon-sur-Ariège, sa race de moutons peut-être liée aux foires de mai et septembre. A proximité, la grotte de Lombrives où cinq-cents hérétiques furent emmurés vivants par l’inquisiteur et futur pape benoît XII (1328), celle de Niaux renfermant des peintures de bisons, de chevaux et d’autres bêtes encore, sur les parois, celle de la Vache, elle, habitée (harpons, os et bois d’animaux sculptés)...

Plus bas dans la vallée, Foix et son château, de mille ans d’âge, symbole entre les XIe et XIIIemes siècles, d’une résistance culturelle occitane, lié au renom de ses comtes dont Gaston Febus (1331-1391) et Henri IV (1553-1610) qui apporta ses possessions au domaine de la couronne. Jamais pris, le château offre un cachet certain à la plus petite préfecture de France. Sa tour ronde de 32 mètres et ses tours carrées lui donnent l’allure d’un aïeul bien conservé. Il en impose. En haut, exposées, des pièces d’artillerie médiévale, à savoir, un trébuchet et une pierrière, arme de défense des femmes et des enfants (un des projectiles ainsi lancés causa la mort de Montfort [1150-1218] lors du siège de Toulouse). Le château appartint à Gaston Febus, comte de Foix mais surtout seigneur de Béarn... on lui devrait « Se Canto », la chanson avec les Pyrénées empêchant de voir l’aimée (exaltation peu sincère de sa part quand on sait qu’une sombre histoire de dot est à l’origine du rejet sinon de la répudiation de l’épouse). Dépassant cette réalité, la chanson est néanmoins considérée à présent en tant qu’hymne occitan.

L’Ariège des vallées montagneuses, au-dessus de l’Arize, Montagagne justement, le village perdu d’où descendent mes ancêtres, une histoire de malnutrition sinon de ventres creux, de « Demoiselles » en guerre contre l’autorité oppressive interdisant les forêts aux défavorisés. Mon patronyme y est commun, de la plaine aux Pyrénées ariégeoises, Couserans du Salat et de ses affluents, ses cascades, cirques et sommets, fromages, myrtilles, traces d’ours et de néo-ruraux.   

Montagnes occitanes avec plus à l’ouest la langue mise à l’honneur par Nadau, si fédérateur d’une identité occitane... La Haute-Garonne se résumera peut-être à une boîte de camembert Mariotte puisque, la faim qui vient en mangeant peut se prolonger en fringale de géographie. 

le cousin Baptiste 1968

Retrouvons la rivière, la plaine fertile le long de l’Ariège, le cousin Baptiste dans la plaine de Pamiers... C’est surtout le rugby, avec ses phases finales du championnat de France, qui m’a rendu boulimique de ces contrées lointaines : mes premières pommes dauphine au restaurant (Varilhes), mes premières vaches puisque à l’instar du camembert Mariotte, nos yaourts en pots de verre venaient de Rieucros.   

Et tous ces petits pays entre l’Ariège et l’Aude, la vallée de l’Hers en gros, le Pays d’Olmes, Montségur des Cathares,

Lavelanet du jais, de l’osier, de la corne, des laines, des noisettes et du gardien chauve de l’équipe nationale championne du monde, le Quercorbès, la Piège, le Razès (les amandiers en fleur d’Achille Laugé à Cailhau), la Malepère, toute une mosaïque de petits pays aux noms et à l’existence méconnus. 

samedi 13 août 2022

"La Terre est bleue comme une orange" Paul Eluard.

 Alors, les pieds tanqués dans ce Golfe du Lion en partage, à tirer en arrière ce tenillier des temps nouveaux, ridicule au point de ressembler à une épuisette de gosse, du genre pousseux, contraint qui plus est par un règlement draconien interdisant de se harnacher, parce qu’à force de ne pas aller contre le pillage des professionnels, les autorités l’ont plus facile (comme pour les impôts) de frustrer le vulgum pecus. Oublions. Si labourer le sable est presque un crime aujourd’hui, la lente progression n’évoque pas que la dure condition des travailleurs de la mer si bien nommés par Victor Hugo, dont Yves le pêcheur. 


En effet, pour le plaisir d’une poêle de haricots de mer, libre à nous de voir, jusqu’à l’horizon, celui à poursuivre dans une quête pas si vaine que cela puisque le regard porte au large vers les profondeurs de nos pensées. La beauté de la planète de vie, la présence éphémère des Hommes, l’éternité de la mer. Le ciel offrant son bleu lumineux à la Méditerranée, ces ronds de chaleur qui tournent dans nos yeux tels ces cieux de Van Gogh et, dans le Golfe, ces éclats, ces reflets, bordés de boucles claires d’écume, où dansent des voiles, de plaisir certes, mais toujours aussi blanches.

La Terre ? la terre ?  majuscule ou non ? Bien sûr que si... c'est un élève qui me l'a appris, il y a près de trente ans... leçon inoubliable... un prof se doit de rester modeste... Quant à Eluard, trêve de surréalisme, à propos de notre planète il faut la majuscule ! 

Et tout au bout là-bas, toujours dans un bleu mais qu’un temps de mer idéal estompe et teinte de gris, la pointe des Pyrénées au cap Béar sinon Cerbère et peut-être, déjà en Catalogne, le cap de Creus. L’Espagne voisine, cousine, qui nous est chère pour le dépaysement qu’elle procure, l’authenticité due à un régime politique sévère, asservie qu’elle est par la dictature franquiste (jusqu’en 1975), comme elle le fut, de longs siècles durant, par la noblesse alliée à l’Eglise. Avant de profiter, plus loin, de la Costa Brava, de Barcelone et d’incursions plus lointaines, le rapprochement initié par la forte présence espagnole dans nos départements du sud vaut une prise de contact pour tâcher de savoir qui est l’autre plutôt que de le côtoyer sans se soucier de son altérité. Les premiers pas se font du côté de Port-Bou, Rosas, Figueras, et bien sûr La Jonquera, le Perthus.  

Par dessus la ligne de crête, le peintre Dali, le sculpteur Maillol et les fauves à Banyuls (Matisse, Derain, Braque...), le passeur, berger des abeilles d’Armand Lanoux, Antonio Machado venu finir de tristes jours d’hiver à Collioure, pourtant un si beau site, inspirant, entre autres, les cubistes... Toujours, sous le « clocher d’or » mais aux beaux jours, Charles Trénet, pour la sardane. Toute cette Côte est Vermeille avec Port-Vendres, Banyuls, Cerbère.

Au pied des Albères, Le Boulou, Amélie pour les bains, Céret pour les cerises, le sillon du Tech, les artistes Manolo et Picasso, à Thuir, la plus grosse cuve du monde, Pablo Casals à Prades, la vallée de la Têt, les pêches de l’été qui se vendaient jusque chez nous, sur la plage du camping sauvage, par cageots (on ne disait pas « plateau »).

Pyrène, Cerbère, une mythologie sur laquelle règne le mont Canigou qui s’éclaire chaque année des feux de la Saint-Jean. Il ne domine pas que le Roussillon, l’Empurdan : on le voit depuis la Costa Brava, depuis nos rivages méditerranéens, du haut du Mont Aigoual et, par temps clair, depuis Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille ! Bonne Mère !   

Le Conflent : à deux pas de Villefranche, la vieille ferme des parents d’une amitié aux heures comptées... Que reste-t-il des pages qui se tournent ? Les mots sur le papier sont moins volatiles que les électrons octets, bits et pixels... pardon de tout mélanger mais de simples hectares me donnent déjà à réfléchir... 

"... Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté." Paul Eluard. 

Alors, sans la Terre majuscule, où serait la terre minuscule, marron, de la planète Bleue ? Orange il a dit le poète ? sûrement pour le fruit venu d'ailleurs, rare, précieux, unique cadeau que le Père Noël portait...   

jeudi 24 décembre 2020

DE L'ANDORRE AUX PAYS D'AUDE / Hommes et bêtes, le troupeau descend hiverner.

Ils étaient d'un abord ouvert et souriant, pour le peu que je connus d'eux, les frères Torrès, Pierre et Patrice. Leur père étant dans l'élevage ovin, l'année scolaire, pour eux, débordait sûrement sur le séjour chez nous de leurs troupeaux andorrans. Le retour des saisons rythmait le calendrier, à l'exemple de cet éleveur-berger de Porté-Puymorens installé aussi, l'hiver et pour son métier, à Lézignan-Corbières. L'article précédent en parlait. 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

Avant le train et le camion, la transhumance inverse à celle qu'on connait des troupeaux gagnant les montagnes en été pour en redescendre aux premiers froids, se faisait "à pattes" pour les brebis, les chiens et les mulets, pedibus pour les bergers qui en avaient la charge. 

Le troupeau est important, entre 600 et 1200 têtes suivant le nombre de propriétaires. On compte un mâle pour cinquante brebis (las fedos). Le bélier (lou marre) est possessif et d'autant plus agressif s'il n'a pas assez de femelles à saillir... on le dit tumaïre, donnant volontiers des coups de tête par derrière, en traître. Le troupeau compte aussi de 12 à 24 chèvres pour le lait et quelques boucs contre les maléfices, qui, par leur odeur éloigneraient la maladie (la marrano... étonnants les parallèles lexicaux). En tête, une vieille brebis aguerrie ou un mouton (bélier châtré), lou carraïre dit encore esquelhé, toujours magnac (1), docile et calme, portant la cloche, que l'on suit en confiance dans les passages difficiles ou à gué. Les bêtes portent des colliers de merisier, châtaignier ou frêne, formés à la vapeur, sculptés et décorés. Toutes portent au moins une clochette, les plus élevées dans la hiérarchie, un reboumbeu, une grosse sonnaille.  

Transhumance de la Provence vers les Alpes provençales wikimedia commons Author Unknown early 1900s

Avec le troupeau il y a les chiens, les petits bergers des Pyrénées au poil long, d'une dizaine de kilos à peine, mais vifs, infatigables, aux yeux en amande si expressifs. Un geste suffit à leur faire comprendre la limite que le troupeau ne doit pas dépasser.  

Enfin et parce qu'il faut porter le barda, le sel des bêtes, les parapluies, les bâches, la nourriture des bergers, une brebis moins en forme, les mules bâtées plutôt que des ânes pourtant importants dans le secteur, qu'ils soient pyrénéens, à l'égal des "ministres", les petits ânes provençaux qui, dans la transhumance montante portaient même les agneaux nés en chemin, ou catalans, plus forts et plutôt destinés à la monte, l'attelage ou au travail de la terre. 

Transhumance sur une draille en basse Provence wikimedia commons Author Unknown vers 1920.

Devant, bâton à la main, brodequins ferrés aux pieds, le berger principal ; sur la tête la casquette ou le béret, succédant au chapeau à larges bords, tombant sur les sourcils pour protéger de l'éblouissement ou de la pluie. Sur la chemise, dans la poche à gousset  du gilet, la montre, indispensable (sinon ils savent, mais sur les estives, édifier un cadran solaire). Le pantalon, la veste, sont de gros velours ; par-dessus la cape, une houppelande de laine, protégeant bien des intempéries, ouverte de chaque côté pour les bras. Sur le dos, un sac de type tyrolien, le parapluie en travers. En bandoulière la musette ; à l'épaule, une couverture à carreaux ou rayée.

Rien d'étonnant si cette transhumance méditerranéenne a été remarquée par de grands historiens. Georges Duby : "cette admirable construction humaine qu'est la transhumance ". Fernand Braudel, lui, faisait remonter "cette forme de nomadisme assagi" à plus de quatre mille ans. La transhumance est désormais inscrite au patrimoine culturel et immatériel de l'humanité.   

Tout est paré. Il ne reste plus qu'à partir, qu'à suivre les drailles ancestrales encore bien tracées. A présent seule une végétation plus verte, plus grasse, marque encore tout ce qui s'est perdu dans les mirages d'un monde au modernisme jadis si prometteur et aujourd'hui à réfréner car difficile à contrôler, si exagérément et aveuglément attisé au nom d'un enrichissement suicidaire toujours plus artificiel et hors-sol...    

(1) Sur la route des Cabanes, "la magnague" était une des vignes de mon grand-père Dedieu. Plutôt qu'un lieu-dit, c'était sa gentillesse à produire qui la caractérisait, il est vrai, sur un coteau privilégié au-dessus de la plaine...   

Note au lecteur : il y a bien des photos de troupeaux hivernant ou sédentaires sur le Bas-Languedoc mais non autorisées. Quant à celles qui sont disponibles, elles concernent à 99,9 %  la transhumance montante et majoritairement entre la Provence et les Alpes...   

Pyrénées transhumance par une draille wikimedia commons Author L.L.

 


lundi 21 décembre 2020

BERGERS & MOUTONS, transhumance des PYRÉNÉES.


Photo de Régis Esteban parue sur "Pays d'Aude et autres curiosités audoises".

" Torrès Pierre ? 

- Présent. 

-Torrès Patrice ? 

- Présent. " !

Les nouveaux ravivent toujours la curiosité des habitués. Collège Victor-Hugo (non répertorié, entre parenthèses, dans les monuments ayant quelque intérêt à Narbonne), lycée-caserne au milieu des années 60. On se presse autour d'eux. Ils se présentent : un bel accent rocailleux leur fait rouler les "R" comme exprès réitérés dans leurs noms et prénoms. Le père est berger ou éleveur, ils sont Andorrans... Encore des lettRes "R" !

Tout bienvenus qu'ils sont, que font-ils là ? Sauf que la curiosité est primaire par rapport à l'intérêt que l'on peut porter à l'autre... et je ne devais guère me démarquer... Peut-être en gagnant leur amitié mais nous n'étions pas du même âge et dans le parcours scolaire, les divisions cloisonnent. Alors il faut les belles photos de Régis, prises exactement là où ça s'est passé, pour enclencher ma machine à remonter le temps. 

Appelons-le Marcel (j'en connus un, vieux garçon et fermier avec ses parents sur les hauteurs de Villefranche-de-Conflent), il pratique la transhumance descendante entre Porté-Puymorens, presque l'Andorre... et l'Aude. Il a 45 ans. Au printemps et en été il est à Porté où il possède 20 hectares dont 19 de pâturages et de prairies à foin, le dernier étant réservé aux pommes-de-terre. A l'automne, depuis des années, il pratique la transhumance descendante à Lézignan-Corbières où il a une maison et une bergerie neuve de 600 m2. En train via Toulouse, outre ses 700 bêtes, il peut emmener dix tonnes d'aliments (foin, céréales) ainsi que son déménagement. 

"Plaine de Caumont, Lézignan-Corbières / Photo Régis Esteban parue sur "Pays d'Aude et autres curiosités audoises".

S'il laisse les brebis en pension, comme il le fit en 1963 à Capestang, il doit laisser en paiement environ 80 % des agneaux nés. 

De 1964 à 1967 ses bêtes ont été réparties en six troupeaux dont cinq confiés à des bergers salariés. 
Depuis l'hiver 68-69, les bergers étant rares et chers, il a réduit son nombre de têtes ainsi que le nombre de lieux d'hivernage. Ses trois troupeaux paissent en hiver à Lézignan (220 brebis), à Conilhac (180 brebis) et plus loin à Fonjoucouse (200 bêtes). Il emploie un pâtre espagnol qu'il connait de longtemps et un berger saisonnier, lui-même menant son troupeau (celui de Lézignan on suppose). En hiver les moutons paissent dans les vignes et les champs, au printemps dans la garrigue et les friches. 

En 1971 une grève de la SNCF a bloqué le retour de Marcel à Porté. Depuis Carcassonne, le transport avec son camion lui prit deux jours (sûrement en plusieurs navettes).  

Sans parler des échanges ancestraux avec l'Espagne, l'existence du Pays-Quint en est emblématique, une histoire encore tiède, bien que plus ancienne que celle de Marcel, fait état de la transhumance, à pied, des troupeaux andorrans... Torrès Pierre, Torrès Patrice, je ne vous oublie pas. 

Source principale :   "Situation récente de la transhumance ovine dans les Pyrénées françaises par Gisbert Rinschede, maître assistant de Géographie à l'Université de Münster. traduction de l'allemand par Mme C. Péchoux à partir du manuscrit de l'auteur "Die Transhumance in den französischen Pyrenäen". 

 https://www.persee.fr/doc/rgpso_0035-3221_1977_num_48_4_3523

addendum : à propos de la flore de la Clape, un correspondant a noté "Dépêche toi l'an dernier les moutons ont bouffé tout un tas d'espèces protégées au Rec."

Un grand merci à Régis Esteban qui a très aimablement mis les photos à disposition.  


dimanche 23 août 2020

SOMBRE HORIZON AU RAS DU GOLFE CLAIR / Fleury-d'Aude en Languedoc

"Du bord de la mer, il suffit de chercher l'horizon...
- L'horizon ? Allons donc ! Même pas cinq kilomètres à ce niveau ! Il n'y a rien à voir depuis un trou !
- Pas si vite ! c'est juste symbolique d'être dans l'eau. Sinon monte en haut de Périmont et déjà tu verras cinq fois plus loin ! Tu fais la moue ? Tu ne devrais pas. Écoute Pierre, inspiré par la vue en haut de la barre des Karantes ou de Saint-Pierre-la-garrigue : 

" Tout à coup son regard s'emplissait de merveilles : 
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu'aux Côtes Vermeilles, 
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé, 
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillant de mille feux et d'autant de lumières
Et brassant dans l'air pur le bienfait de ses flots, 
Enseignait aux humains la richesse des mots... 
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée, 
Tel un amant distrait : l'oeil pourpre du Levant
Tomber à l'horizon une larme de sang..." 

 Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel. 

La Montagne de la Clape avec la Barre des Karantes au-dessus de Saint-Pierre-la-Mer.
Cherche-le, cherche-le ! Il viendra à toi l'horizon ! Les cônes d'Agde et de Sète d'un côté, la ligne de crête des Albères de l'autre, comme le dit le poème. Et va voir si ce "bras des Pyrénées" n'arrive pas au Cap de Creus, surplombant Cadaquès, le village de Dali, de près de 700 mètres... Vois aussi un peu à l'intérieur la masse pyramidale du Canigou, le pic sacré des Catalans, magnifique à en donner des frissons, même sans ses inclusions de neige !

Le Canigou, quand on le voit, annonce le vent marin, le temps de mer idéal dans les deux ou trois jours à venir. Aujourd'hui, les traînées plus ou moins longues des avions qui tracent leur route haut dans le ciel, signalent une météo similaire traduisant l'humidité de l'air (ils sont de retour en ce temps de disgrâce pour cause de covid). Dans les années 60, ce sont les navires qu'on regardait passer au large. 

La dune aux Cabanes-de-Fleury avec, au loin, les Pyrénées au pied desquelles le Golfe du Lion semble se lover... 


2013. Par un beau matin de mer, du Mont Saint-Clair à la Côte Vermeille, le Golfe du Lion éparpille ses voiles et ses bateaux : pêcheurs de bleu, marins du dimanche, hauturiers de passage. J'en compte jusqu'à cinquante-cinq, plus ou moins gros fétus de paille dansant sur LE Golfe clair (1) quelque part au sud-est. J'en perds le compte quand je rêve de ces flottilles de voiles latines partant ou rentrant de la pêche et parce qu'un éclat lumineux semble envoyer un message en morse. C'est un hublot qui doit ainsi renvoyer l'éclat dansant du soleil, plus intense que le miroir de la mer. Il est juste dans la direction de la pointe vermeille, de ce bout de Pyrénées qui s'enfonce dans les flots, face au levant. L'air transparent permet de voir un promontoire coupé par un col insignifiant. Ce n'est qu'après que le relief mérite son nom d'Albères peut-être jusqu'au goulet marquant le Perthus. La ligne de crête court au-delà, vers l'ouest, coupée par la masse imposante du Canigou. Avec ce qui reste de deux névés, sa pointe fière trône sur fond de nuages, un train de nuages semblant rouler vers l'est : peut-être ces orages annoncés par les bulletins météo. Vers l'intérieur, les sommets s'enchaînent, formant cortège. Sur les marches, les Corbières jouent aux princesses et aux pages. Dans l'azur, la longue traînée d'un avion marque une humidité à venir. 
La platitude d'une carte de l'atlas ne saurait donner ce galbe prononcé qui inscrit le Golfe du Lion dans une projection courbe, qui tendrait à se fermer presque, aux confins de la Costa Brava... Les hommes, vraiment, déforment tout à leur image : les Pyrénées rétrécies, la courbe du Golfe redressée, tout est resserré comme si on voulait nier l'arrondi de la côte et de l'horizon qui, à vue d’œil donnent tant, attachent fort et entretiennent à jamais des rêves de gamin d'autant plus que la montagne et la frontière entretiennent les mystères de l'Espagne voisine...    
Comment ne pas s'exalter à le voir en vrai, le Golfe, lapis lazuli serti dans le littoral ? Sauf que ce bonheur contemplatif est désormais plombé de remords, de mauvaise conscience, de l'angoisse de tout perdre, de ne laisser à la postérité qu'une Terre à l'agonie. C'est que les griffes de joaillerie vont, de notre fait, par notre faute, lâcher la pierre précieuse. Comme la nature en général on la croyait éternelle. Sauf qu'entre la pollution notamment plastique de la mer (bientôt plus de déchets plastique en mer que de poissons / Arte, Le Dessous des Cartes) et celle de l'air vectrice du changement climatique se traduisant par l'érosion des côtes et une submersion majeure des littoraux, l'horizon est porteur de menaces, au ras du golfe clair... et mon inspiration poétique, en ce qu'elle témoigne de la complicité passive des générations du baby boom par rapport aux côtés délétères du progrès, en devient insensée, pour le moins pathétique sinon carrément haïssable à force d'aveuglement irresponsable. 

(1) "La mer qu'on voit danser le long des golfes clairs..." a des reflets de Trénet mais d'un Trénet acquis à la réussite française et cosmopolite seulement possible à Paris. Infidèle, il descend en été plutôt sur la Côte d'Azur que sur notre Golfe clair, du Lion. Et s'il est quand même si aimé au bord du golfe et dans les Pyrénées, c'est qu'on pardonne toujours au fils prodigue qui reste quoi qu'il en soit, un enfant du pays. 


 

dimanche 14 avril 2019

LE DERNIER AFFLUENT / Fleury d'Aude en Languedoc

Question pour des champions : Quel cours d’eau passe dans le village de Fleury-d’Aude ? Élémentaire mon cher JF diront les autochtones, du moins ceux d’un certain âge... Attention ! sans faire état de ces torrents boueux qui dévalent de la garrigue lors d’un orage ou d’un aigat (1) ! Quoique puisqu’il faut bien que ça s’évacue quelque part !
Ce dernier affluent plus ou moins pérenne, nous devrions le retrouver sur le site du Sandre

http://www.sandre.eaufrance.fr/geo/CoursEau/Y1—0200

Rien curieusement pour la basse plaine de l'Aude...

La fiche Y1---0200 ne dénombre pas moins de 121 affluents de l'Aude !
* 68 entre 1 et 5 kilomètres de longueur,
* 25 entre 5 et 10,
* 15 entre 10 et 20,
* 13 de plus de 20 kilomètres.
Sauf que notre cours d’eau n’apparait pas sur la fiche... Dommage avec une longueur de plus de dix kilomètres, même pour un ruisseau prolongé grâce à la main de l'homme !

Dans le dictionnaire topographique de l’Aude de Sabarthès, à l’entrée „Fleury“, croyant à une erreur de l’abbé :
„Cascabel, ruisseau en limite de Fleury et Narbonne, a servi à dessécher l’étang de Fleury“, je pensais devoir corriger :  

„ contrairement aux indications de Sabarthès, le Ruisseau du Cascabel avec celui de la Combe Figuière forment le Ruisseau des Bugadelles avant d’atteindre l’Étang de Pissevaches en tant que Ruisseau de Combe-Levrière (cours temporaires lors d’orages ou de périodes d’aigats) ; il ne saurait aller vers l’Étang de notre ancien terrain de rugby alimenté par les cours tout aussi intermittents venus surtout de la Cresse (96 m) et donnant sur le Ruisseau de la cave Maîtresse. Entre les deux « bassins » (45 mètres pour celui des Bugadelles authentiques, 36 pour le bas du Courtal Crémat) se dresse le col de la Crouzette à 60-67 mètres d’altitude.“

Or, il existe deux ruisseaux nommés pareillement, un „du Cascabel“, formant avec celui de la Combe Figuière le Ruisseau des Bugadelles devenant celui de Combe Levrière qui part bien vers l’Étang de Pissevaches et celui „de Cascabel“ décrit par l’abbé Sabarthès, la carte IGN de Geoportail en atteste.
Nous sommes bien aux limites des communes de Fleury et Narbonne. 

Je cherche à suivre les chemins d’école empruntés par deux garçons, le cousin Étienne et mon grand-père Jean, depuis la Pierre, une métairie des Karantes, jusqu’à Fleury, dans les années 1903 - 1910. Nul besoin de partir explorer au bout du monde pour chercher ses racines, pour chercher qui on est. S’arrêtaient-ils pour boire à la source de Fontenille ? Par où passaient-ils la falaise de cette longue barre rocheuse infranchissable, les dominant d’une quarantaine de mètres ? 

Ici depuis la plage des Cabanes-de-Fleury, en forme d'arc, cette barre rocheuse sans nom d'où la vue embrasse tout le Golfe du Lion.
De là-haut, un demi-siècle plus loin, le garde-chasse des Bugadelles ne se lassait pas d‘embrasser du regard la divine courbure d‘un Golfe du Lion de soleil embrasé.  

Conium_maculatum, grande cigüe - Wikimedia Commons Author Franz Eugen Köhler, Köhler–s Medizinal-Pflanzen
Et moi, au remords de ne pas lui avoir rendu visite plus souvent,  j'aimerai toujours ce garde-chasse qui honorait et magnifiait dame nature. Il s’appelait Pierre, Pierre Bilbe. J’avais déjà la quarantaine mais il savait me faire retrouver une âme d’enfant en découvrant des coutibes (pleurote du panicaut) cachées dans des friches ensauvagées, où en évoquant Socrate, parce que là-haut, sur le plateau qui regarde vers un levant que la Grèce habite, malgré la sécade et le Cers (2) qui plaquent au sol une garrigue de baouco (3) et de kermès, pousse la grande cigüe.

„... Tout à coup son regard s’emplissait de merveilles :
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu’aux Côtes Vermeilles,
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé,
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillait de mille feux et d’autant de lumières
Et, brassant dans l’air pur le bienfait de ses flots,
Enseignait aux humains la richesse des mots...
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée,
Tel un amant distrait : l’œil pourpre du Levant
Tomber, à l’horizon, une larme de sang...“
Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel.

Pierre aimait les mots, la poésie. Avec Germaine, son épouse, ils savaient apprécier la magie des vers comme on partage le plaisir d‘un pot-au-feu longuement mijoté. Avec quelle gourmandise elle lui disait „Lis-nous, Pierre“ ! Il jouait à se faire prier comme si j’étais professeur plutôt qu’humain, enfant du pays et héritier dans l'humilité de ceux qui jamais ne confondent intelligence et instruction...

Pierre, à la dernière rime, acteur du théâtre antique, maître de son art, le bras retombant enfin, contenait l‘élan lyrique jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un souffle, laissant son public exalté tonner en applaudissements... Comme elle l’aimait et l’admirait son homme, Germaine ! C’était aussi fort qu’à la dernière note d’une première de Verdi, pour un vrai public, Germaine et moi et Pierre, si heureux dans cette petite pièce du vieux village, à la fois salon et salle-à-manger ! L’émotion retombant, nous prenions l’apéritif „Germaine sers-lui quelque chose...“ et dans une parenthèse de silence, les teuf-teuf-teuf du toupi (4), dans la cuisinette à côté, ajoutaient des vapeurs de céleri et de bouquet garni...

„Sur le feu jaune et bleu
Chante la grosse marmite,
La marmite au pot-au-feu... „
Maurice Fombeure (1906 – 1981).  

(1) crue, inondation / chez Mistral "dau tèms dis aigo" (pendant l'inondation). 
Les présentateurs météo ont longtemps dit "épisode cévenol" avant de qualifier le blocage d'une crosse de pluies diluviennes sur l'amphithéâtre du Golfe du Lion "d'épisode méditerranéen".  
(2) sécade : francisation de secado, sécheresse. 
Cers : vent authentique qui mérite mieux que d'être assimilé à une tramontane générique par un parisianisme et un centralisme jacobin complètement anachroniques, réactionnaires et anti-démocratiques... 
(3) baouco = graminée à feuilles et tiges rudes que les animaux ne mangent guère (Trésor dau Felibrige / F. Mistral)
bauca = brachypode rameux formant des pelouses steppiques, appelée aussi "engraisso motons" (Guide du Naturaliste dans le Midi de la France / Harant & Jarry). 
(4) toupi ou toupin = pot de terre exposé de longues heures sur la plaque de la cheminée... j'ai extrapolé, par licence poétique, le pot-au-feu chauffant sur la cuisinière...