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lundi 8 avril 2019

8 avril 1915 / Louis Pergaud


Louis Pergaud 1882 - 1915.

Entre Marchéville-en-Woëvre et Saulx toujours en Woëvre, à trente cinq mètres à droite du pont sur le fossé Saint-Pierre, le sous-lieutenant Pergaud entraîne ses hommes à l’attaque de la Côte 233. Il faut les voir !.. Trempés par l’eau des marais où ils ont dû patauger jusqu’aux genoux, ils dégoulinent aussi de l’eau du ciel qui ne cesse de tomber ! Regardez-les bien, c’est la dernière fois : beaucoup n’en reviendront pas !
Ernest Florian-Parmentier écrira même, sur la foi du sergent Desprez, blessé lors de cet assaut : « ... Les débris de celle (la section) de Pergaud rentrèrent seuls ; notre brave confrère avait disparu... ». C’était le 6 avril 1915, un mardi, par une nuit sombre et pluvieuse, après 2 heures du matin. Blessé, récupéré par les Allemands, il disparut dans le bombardement par l'artillerie française de l'hôpital où il avait été évacué. Son corps ne fut jamais retrouvé. 
 





Sur la moitié droite de la stèle de Marchéville-en-Woëvre : 
"Reverrons-nous les champs reverdir et les fleurs pousser ?" (1er avril 1915 / signature Louis Pergaud 1882 - 1915). 

Sur la partie gauche : " Parti d'ici à la tête de ses hommes, Louis Pergaud, prix Goncourt 1910, auteur de la Guerre des Boutons, disparut la nuit du 7 au 8 avril 1915 dans l'attaque de la côte 233 de Marchéville. 

Forêt enneigée dans le Doubs Auteur Nelson 25 sur Wikipédia français

Extraits de la vie en lui, pour la femme aimée :
A Delphine, mardi 2 mars 1915. Nous sommes retombés dans l’hiver. Il a neigé ces jours passés il fait un peu froid un peu plus froid qu’auparavant... /...

A la même mercredi 3 mars 1915. ... Il faisait un temps à ne pas mettre un Boche dehors : bourrasques de pluie et de neige, coups de vent et tout ce qui caractérise les heures troubles d’avant printemps. Malgré cela ce ne fut pas pénible, j’avais mon caoutchouc et je pouvais me foutre de la neige et du vent. La campagne ne reverdit pas vite tout de même, c’est encore gris avec des raies d’eau qui zèbrent les champs de lames d’argent. Les arbres non plus ne se pressent pas de bourgeonner mais les oiseaux commencent à revenir, il y a déjà des pinsons jolis comme des amours, quelques chardonnerets et des bandes d’alouettes et de verdiers. Enfin on commence à trouver des pissenlits et presque tous les soirs l’ordinaire s’enrichit d’une plantureuse salade dont on se pourlèche les badigoinces comme dirait feu Rabelais.../... Il serait bien absurde que les destins qui semblent me protéger avec tant de zèle ne persistent pas.../... Il ne me manque vraiment que votre présence mon cher amour. Bien souvent quand mes yeux courent le long des lignes,votre chère image vient s’interposer devant mes yeux et les mots dansent parce que le souvenir de notre bonheur passé me tourmente jusqu’au fond le plus intime de ma chair et de mon cœur...

A la même vendredi 5 mars 1915... Il faisait un temps adorable de printemps, tiède et presque parfumé.../... on flânait, on rêvait... 

 A Delphine, lundi 8 mars 1915. Pour changer un peu aujourd’hui il neige. Déjà dans la nuit paraît-il ça a commencé et ce matin c’était tout blanc... /... J’ai eu à mon réveil le spectacle un peu attristant d’une campagne grise et d’un ciel de suie mais j’ai pensé à toi et ça m’a mis dans le cœur le coup de soleil qui manquait à ma fenêtre.

A la même mardi 16 mars. .. / ... Aujourd’hui et hier aussi le temps s’est remis au beau, le soleil s’est montré, les routes se sont séchées. Il faisait chaud, il faisait bon et j’aurais bien voulu t’avoir à mes côtés.
A la même mardi 16 mars 1915.... Mes cheveux ont encore grisonné mais je suis toujours aussi jeune de caractère et surtout toujours aussi amoureux de ma femme bien aimée...
A la même mardi 16 mars 1915... /... Il a fait une journée délicieuse d’avant-printemps? les alouettes chantaient, des bandes de petits oiseaux passaient dans les grondements du canon et c’était bizarre et joyeux et un peu triste aussi.

A la même mercredi 17 mars 1915... /... Quelle journée délicieuse ! Et quel beau soleil il fait ! Cela nous met en joie et les Poilus aussi. Personne dans les caves et tout le monde est dehors... /... Ma bien aimée qu’il ferait bon se promener, au bras l’un de l’autre, dans quelque quartier du bois de Landresse... 

 A Delphine 21 mars... Nous avons attaqué la ligne ennemie.../... nous sommes restés sur nos positions et nous avons perdu quelques hommes... Au milieu de tout cela, ma bonne petite chérie, vos gentes lettres me parvenaient et je puisais dans votre amour toutes les forces dont j’avais besoin pour tenir jusqu’au bout... 

A la même lundi 22 mars... Les hommes sont gais, il fait soleil. 

Pays de Pergaud (Doubs). Cascade de l'Audeux en amont de l'abbaye cistercienne de la Grâce-Dieu (vallée des hiboux).




dimanche 9 avril 2017

Louis PERGAUD, égalitairement mort pour la France... (fin) / Compatir à un destin, "partager" le voyage...



Pourquoi « égalitairement » ? parce que chaque homme est une Histoire universelle (J. Michelet) et si certains gradés cultivés craignaient pour la vie de l’écrivain, sa promotion empoisonnée au grade de sous-lieutenant l’a amené à foncer, armé d’une canne et d’un revolver sans balles, pour un con nommé B. de M. qui voulait sa troisième étoile (ah ces nobles restés les aristocrates d'une armée pourtant républicaine, persistant à envoyer la piétaille sous la mitraille !). Nous connaissons la suite et ce qu'il en est encore lorsque la vie politique n'est que manipulation et que la  démocratie est pour le moins dévoyée...


Fin des lettres de guerre (22 mars - 6 avril 1915).

A Delphine, mardi 23 mars 1915. Tu vas recevoir sous peu.../... un souvenir de la guerre.../... c’est une bague fabriquée par le maréchal-ferrant.../... avec la fusée en aluminium des obus allemands.../... La fusée devait être en cuivre mais ces pauvres Boches n’ayant plus assez de ce précieux métal se servent d’aluminium et c’est extrêmement amusant, car comme on ne redoute guère leurs marmites de 77, les Poilus guettent l’arrivée de l’obus pour se précipiter sur la fusée encore toute chaude et s’en servir pour faire ce genre de bijouterie... /... Ce matin tu ne devineras pas où je suis allé... à la messe.../... je n’ai pas trouvé ridicule d’honorer nos morts même de cette façon...

A Delphine, mardi 30 mars 1915... /... tant qu’il y a eu du danger je n’ai pas voulu t’en parler... /... résultat néant, sept-cents Poilus hors de combat... ça été une opération ridicule d’autant que la position n’offre aucun intérêt stratégique et qu’il est impossible de s’y maintenir.../... les Boches furent très corrects, ils se levèrent au-dessus du parapet et l’on se regarda de part et d’autre... /... il arriva près du blessé, à six mètres des Allemands, qu’il salua militairement, comme au grand siècle, puis ramassa son blessé et pendant que les brancardiers l’emportaient, il re-salua encore, comme la première fois, les ennemis qui lui rendirent son salut. Il rentra dans nos lignes ; les têtes disparurent derrière les parapets, le silence régna de nouveau et plus un coup de fusil ne fut tiré de la journée. Maintenant tout est calme, les mitrailleuse ne tirent pas, on n’entend plus le sifflement des balles, c’est l’ancienne vie qui reprend.

A Delphine, jeudi 1er avril 1915. Que tes lettres me sont douces à lire, si débordantes de vraie tendresse, de bon amour et comme je suis heureux de les savourer, de les lire et de les relire ; je suis avec toi, je vois ta main qui court sur le papier, tes yeux qui suivent les mots.../... Aujourd’hui il fait un temps magnifique mais il faut que je t’écrive avant toute chose : j’ai plus de plaisir à vivre ainsi en pensée avec toi qu’à courir les routes, fût-ce par les plus beaux soleils. 

 

A la même vendredi 2 avril 1915. Après le déjeuner la fantaisie nous a pris de profiter du beau soleil pour aller faire un petit tour dans les champs. J’ai eu soin de prendre de quoi écrire et.../... c'est couché à plat ventre, sur la terre presque sèche que je t’envoie ce mot. Ah notre beau printemps de là-bas, ma chérie, t’en souviens-tu ? Comme nous étions heureux !.. /... Peut-être qu’en juillet tout sera fini.../... Comme j’ai encore un petit moment avant le départ du cycliste, j’en profite pour venir t’embrasser un gros coup avant la nuit. Il fait beau et je t’imagine en peignoir dans le jardin baigné de soleil, devant la porte, en train de semer des salades ou des petits choux.


A Edmond R. samedi 3 avril 1915. Enfin nous revoyons le soleil.../ ... les alouettes chantent éperdument, se foutent des 77 et des 150 autant que du premier duvet qui leur ombragea le croupion. Par de tels matins on se sent renaître .../... n’étaient les cadavres des nôtres qui jalonnent le trajet entre nos tranchées et celles des Boches, prises et reperdues, on ne croirait pas, on ne penserait pas que c’est la guerre. 

A Delphine samedi 3 avril 1915... /... Peut-être enfin reverrons nous les champs reverdir et les fleurs pousser.../... je les ai laissées là-bas (les violettes) car dans ce malheureux pays, il n’est pas un coin qui ne soit vingt fois par jour compissé ou même davantage, par les Poilus qui s’y terrent.
A la même dimanche 4 avril .../... c’est aujourd’hui Pâques et nous avons fêté la résurrection de Jésus en vrais chrétiens, c’est à dire, en mangeant bien et en buvant sec.
A la même lundi 5 avril 1915... /... depuis hier nous ne sommes plus en première ligne et nos chances d’écoper sont de beaucoup réduites...
A la même mardi 6 avril 1915 .../... Je suis monté sur les collines qui dominent le pays pour assister à la canonnade toute proche.../... Après avoir été acteur dans le drame on peut se payer le luxe d’être spectateur. Cela offrait quelque chose de terrible et de grandiose cette ceinture de fumées à l’horizon et de trains allemands, au loin, filant à toute vitesse pour amener sur un point attaqué, du moins je le suppose, des renforts... /... j’ai trouvé des sous-officiers en train de se faire photographier ; ils m’ont invité à prendre place parmi eux et j’aurai peut-être dans quelques jours une nouvelle photo à envoyer à mon petit Cricri. Je suis au centre où tu me reconnaîtras je l’espère, entre Houdin le barbu, coiffé d’un bonnet de police et l’adjudant de la compagnie, le nouveau, Maillet, un bien gentil garçon aussi... (1)
 

A la même mercredi 7 avril 1915. J’ai reçu hier, de toi, une bien bonne lettre, toute imprégnée d’amour, toute débordante de tendresse. Merci mon bon petit, de m’écrire si longuement et de me dire des choses si douces au coeur, si réconfortantes. Je te conterai plus tard, des histoires émouvantes et terribles et de gaies aussi ; en attendant il faut s’armer de patience et de courage.../...  A demain ma chérie, je te prends dans mes bras et je t’embrasse de toute mon âme, de toutes mes forces et de tout mon cœur. 


Cette lettre est la dernière. Dans la nuit du 7 au 8 avril 1915, il prit part à une attaque tragique où il disparut...  

(1) c'est sa dernière photo certainement non libre de droits même si Bibliobs la publie et que les amis de Pergaud en ont recadré le centre à l'envers !..
https://www.google.com/search?q=photo+Louis+Pergaud&client=firefox-b&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ved=0ahUKEwiumcODipfTAhWMcBoKHQxgCs0Q7AkIPQ#q=photo+Louis+Pergaud&tbm=isch&tbas=0&imgrc=be5Ok70nfEzjFM: