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samedi 26 septembre 2020

Derrière l'Horte / Fleury-d'Aude en Languedoc

 

Au sud, au sud-ouest, deux collines dominent le village ; par dessus les tuiles, elles regardent la Clape, la montagne qui nous cache la mer. 

 


Tout un monde de coteaux, de chemins creux, de marges raides (1), de laisses plantées de vignes, qui irrésistiblement nous appelle pour l'amandier fleuri puis les parfums du chèvrefeuille ou du genêt. A la rentrée la rouge azerole à mordiller et qui vite se retrouve par terre, comme escampée par l'esquirol sadoul des jours avec, le grain de raisin pruiné à picorer, qui vous colle aux doigts à force de sucre. C'est vrai que si, gamins, on y court pour se poursuivre, on y va aussi seul pour une botte de poireaux, d'asperges, les closcos durs après la pluie, une poignée d'amandes, les grappillons. Entre petits profits et maraude (cerises, raisins bons), c'est vrai que le jeu est minime mais chiper, chaparder se pardonne venant d'un chenapan... Le même qui pille les œufs de pie, démolit les cabanes des autres, remarque les crottes de lapin avec une convoitise de braconnier mais se détourne finalement du nid d'apuput dans les pierres sèches : ça sent trop mauvais ! 


 

C'est là que d'instinct j'emmène mes invités, ces copains du Lot, d'un jour, je me souviens, qui vous laissent à jamais leurs bouilles complices, pour dire "vous avez mangé chez mes parents mais ici c'est chez moi", comme si la coquinerie de l'âge se fondait dans un paysage à la fois sauvage et domestiqué. J'ai employé l'imparfait : c'est que cette idée de partage s'est pour le moins estompée, les hommes sont devenus plus possessifs et même sur un chemin de terre, alors qu'on ne se posait pas la question, on se demande désormais si nos pas ne foulent pas la propriété d'autrui (2). Laissons. Replongeons-nous dans un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. 

 (1) pour ne pas rester hermétique : marge = talus, laisse = terrasse, escamper c'est jeter dédaigneusement, l'esquirol c'est l'écureuil, sadoul = repu, gavé, closco dur = escargot ourlé, adulte, apuput = huppe d'après son chant. 

(2) Je demanderai à la mairie quels sont les chemins autorisés ou interdits. 


mardi 19 mai 2020

DÉCONFINEMENT... Ô MOUN PAÏS... / microcosmos

Le Cers a pris confiance. Il bourdonne et corne dans le conduit de quand les gens vivaient autour du foyer. 

Dimanche il s'étirait après un long sommeil, dans un réveil tout en douceur... Allons donc, le changement climatique... Le positif : les paysages sont magnifiquement verts après deux mois gris, sans le bleu du ciel, sans celui, aussi marquant que mythique, de la Grande Bleue. 
L'Aude après la crue, les vignes exposées au mildiou. En regard, celles des bord de Saône, menacées de sècheresse, sans parler d'une Europe moyenne ou déjà de l'Est où le problème se pose aussi. Un monde à l'envers. 

Le déconfinement suite à un exil intérieur, en miroir à un éloignement sous d'autres latitudes, un nouveau retour en arrière et pourtant un jour toujours nouveau, un regard toujours neuf dans ce qu'il n'avait pas vu, dans le passé qu'il reconstitue et même dans ce qu'il reconnait.  

L’Étang de Pissevaches. Inutile d'épiloguer sur les sources ou les vagues qui compilent leurs flux... (Oh faudra aller voir si un grau s'est formé !). Milieu entre le salin, le saumâtre et le suave suivant les saisons. Tamaris, salicorne et même des pins qui auraient colonisé, établi un comptoir. 
Fleurs qui me pardonneront de ne pas savoir comment les appeler.
Et encore... iris pour la taille ou narcisses pour le panachage ? Instantané raté pour le beau beau colvert qui s'est levé. Sinon pas de colonie de beaux oiseaux blancs ou roses... en période faste, ils n'ont que l'embarras du choix pour manger ou dormir. 

"Ajouter une légende" une possibilité pour les images proposées. Alors oui, ce pin remarquable, une légende en légende.
Sur ce piémont fertile des débris arrachés au clapas qui donnent de si bons vins, entre la garrigue et l'étang, abrité du Cers et ouvert aux vents marins, ce grand pin illustre à lui seul le climat au sens écolooenologique du terme, le cadre, les conditions bienveillantes du coin... Ce n'est pas un hasard si huit campagnes (domaines) occupent cette terrasse sur quatre kilomètres à peine, à vol d'oiseau.
Soit loué, homme sage qui n'a jamais hésité à laisser de beaux arbres (est-il classé ? il le mériterait !) quitte à se priver de quelques dizaines de kilos de raisin. Il n'en reste qu'un mais la voiture nous donne une idée de ses belles dimensions ! Presque vingt mètres de haut, quinze environ pour sa frondaison !
Des vignes jusqu'au bord de l'étang. Ensuite, par ce bel itinéraire qui nous fait longer une petite Camargue, la déception de ne pas voir des hirondelles chassant les moustiques dans le creux des tamarins et oliviers de Bohême et seulement ces goélands soit disant protégés qui envahissent le ciel... 
A Fleury on dit "la plaine", celle de la rivière... Hâbleurs, prétentieux les Sudistes ? La plupart ne pensent même pas à l'Aude, fleuve. Comment se douteraient-ils qu'il figure tout modeste qu'il est, entre ses grands frères, le Rhône d'un côté et l'Èbre au sud ? A la suite des Romains, on a renoncé à le dompter, c'est à peine si les hommes se sont permis de l'apprivoiser... Enfin j'ai déjà soupiré mon ode à l'Aude dans des articles plus anciens... Et si les "Racines et les ailes" viennent faire leur miel de ce delta unique par bien des dimensions, par pitié, qu'on nous épargne les commentaires avec l'accent du nord ! Marre d'entendre "pièr" et "rivièr" !     
Le charme, entre la fougue de l'Atax historique et les humains qui résistent lors de ses colères pour profiter de ses alluvions et limons, agit toujours quand on parcourt la route en balcon, là où la Montagne de la Clape s'arrête.
Un pays ouvert à tous les horizons (ici la Montagne Noire au fond) mais aussi à un champ immédiat, la terre qu'on foule comme dans Microcosmos, ce si joli film sur les peuples de l'herbe, de la prairie. Un terroir aux pieds de ceux qui aiment, locaux, adoptés voire parachutés mais qui acceptent que le natif que je suis puisse se dire, humble d'amour, "Ô moun païs...".

lundi 11 mai 2020

LE TEMPS DES CERISES...

Devant le café Billès, en attendant la nuit, la bande de maraudeurs laisse le chef aussi autoproclamé qu'élu par acclamation, faire signe de loin aux cerisiers qui se résignent (un salut aux saltimbanques, Guillaume Apollinaire)... celui de Cossé (José), de Titole, de Ferré ou Léonce sinon du propriétaire antérieur... Un panier de cerises aussi, de Trausse ou Laure, lors d'une visite à l'ami Yves dans le Minervois... Des années après, toujours la magie des burlats rubis, chez Jean-Louis à Ampuis, avec, depuis les terrasses et murets, le Rhône en bas... Plus tard encore ce tableau à Cucugnan qui rappelait trop les cerises de toujours et que je n'aurais pas dû laisser au peintre amateur venu se faire quelques sous... 
Après les fleurs, le cerisier reste le pionnier de nos fruitiers, encore du printemps ! 



Les cerises, une chanson d'amour liée à la promesse des fruits après les fleurs... A seize ans, découvrir "Le temps des cerises" par Nana Mouskouri (1967), alors qu'à la moindre bluette, on se croit réceptif au feu intérieur qui pourrait prendre :

https://www.youtube.com/watch?v=SxokBNWWkA8

"... Les belles auront la folie en tête et les amoureux du soleil au cœur...
... l'on s'en va deux cueillir en rêvant des pendants d'oreilles... pendants de corail qu'on cueille en rêvant..." 

Voilà ce qu'elle dit la chanson  au début parce qu'après, pour troubler et pas que la midinette, elle se doit d'être pathétique. L'amour heureux, tout le monde le sait, n'a pas d'histoire. Mais s'il "est bien court le temps des cerises..." et "Si vous avez peur des chagrins d'amour, évitez les belles...", comme s'il était possible de décider de ne pas aimer. Sans quoi à vous "les peines cruelles... souffrir un jour... au cœur une plaie ouverte..." pour "le souvenir que je garde au cœur". Pour un engagement que la jeunesse magnifie ? pour une amourette ?   

Et un jour parce que le prof d'Histoire plus porté sur le Paris du baron Haussmann et le préfet Poubelle que sur la résistance des Communards, n'a pas approfondi, la lutte pour plus de justice dans la société nous interpelle, la chanson de Jean-Baptiste Clément et Antoine Renard (paroles de 1866 pour le premier, musique de 1868 pour le second) se fait porteuse d'échos autrement âpres. 

Regret des jours heureux, d'autant plus heureux qu'ils sont rares pour ceux qui triment, avec du soleil, des petits oiseaux. "... Mais il est bien court le temps des cerises..." 
Amoralité de la part des exploiteurs en conséquence d'un libéralisme arbitraire, épreuve de force débouchant sur la "semaine sanglante" : "... Cerises d'amour aux robes pareilles Tombant sous la feuille en gouttes de sang...". 

Cerises de l'année avant que les étourneaux et peut-être les corneilles ne les confisquent... les chasseurs d'Afrique ? insectivores pourtant de réputation... les merles c'est sûr, les moineaux aussi... Mais le paysan (du dimanche) a déclaré que rien ne comptait plus que leur compagnie surtout s'il est sur l'échelle et qu'ils viennent marauder sans peur et sans vergogne... La branche du haut leur est réservée, il a dit... bien joli que moi je puisse les goûter... Et puis avec la pluie continue que nous avons depuis hier même les oiseaux n'auront plus grand chose...
 
 


vendredi 21 septembre 2018

LA GAMELLE DES VENDANGES / Fleury d'Aude en Languedoc.

En bas, dans la cuisinette, sur l’étagère qui prolonge la tablette de la cheminée, un vieux réveil, une chope au verre terni, des boîtes de fer blanc aux carreaux blancs et bleus pour le sucre, la farine et la gamelle des vendanges. Le père a bricolé l’anse avec un bouchon pour garder fermé l’étage hors-d’œuvre sur le repas au fond, que tout ne soit pas versé et perdu pour manger à la vigne. 

Tandis qu’on estanque (étancher en français) les comportes, la fièvre des vendanges monte par degrés. Déjà, au 15 août, les familles ont mis fin à la saison à la mer pour regagner le village et se préparer. 
Avec les jours qui passent, aux repas, on évalue ce qui se dit au village, on soupèse les infos, on balance entre attendre et y aller. Attendre le degré supplémentaire qui rapportera davantage ? Y aller au cas où le temps se gâterait ? Faire Perrette ou un tiens plutôt que deux tu l’auras ? 

Souche de carignan. 2006. Depuis la vigne a été arrachée...

« Un tel est allé chercher les Espagnols à la gare. Ils commencent lundi. » 

Les plus hardis, moins influençables et moutonniers, toujours les mêmes, se décident, bientôt suivis par le gros du groupe grégaire. Les retardataires habituels, eux, s’affolent ou donnent le change en jouant les philosophes. Il faut rentrer la récolte, question de vie ou de survie. Le chariot a été révisé. Les seaux sont comptés, les ressorts des sécateurs graissés… 

Qui a dit que je porte le béret pour faire du chiquet ? Photo François Dedieu

Ah ce premier matin ! Quelle animation dans les rues ! Les épiciers, les boulangers sont ouverts ; les clients défilent ; une bonne odeur de pain chaud flotte dans l’air encore frais. Le village résonne du sabot des chevaux, des moteurs des camionnettes et camions emportant les colos[1] à la vigne. Une fumée bleue poursuit une mobylette, un chien poursuit une bicyclette. Un cortège de chariots et de tracteurs s’égrène vers les sorties du village. Les chevaux de trait, rendus nerveux, sont menés par la bride, en attendant que le patron puisse s’asseoir sur le côté, les rênes à la main, devant la roue, au-dessus du marchepied, en position de croisière, une fois en rase campagne. Les vendangeuses, assises sur une planche à même deux comportes retournées, ou derrière, laissant balancer les jambes. On se salue, on s’encourage, on plaisante. Le ton est vif, jovial et si derrière les rires, avec l’énergie et la détermination qui transparaissent, pointe un peu le souci de mener à bien la rentrée du produit de l’année. 



[1] La colo est une équipe de vendangeurs avec 1 charrieur (brouette), 1 videur de seaux quicheur pour 4 coupeuses. Les grandes coles sont formées de multiples

 Colo, còla « troupe, compagnie de travailleurs ruraux; couple de chevaux ».  A Manduel il y avait les colos de vendemiaires (l’associaton du patrimoine de Manduel possède des photos des colo) et en Rouergue les còlas de segaires (les moissonneurs). Dans sa grammaire Louis Piat donne comme exemple: uno colo de droulas « un groupe de bambins ». De personnes qui ne pouvaient pas travailler ensemble, on disait : "tiron pas de colo"

http://www.etymologie-occitane.fr/category/lexique-occitan/c/page/11/ 



PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Tu peux aussi mettre « JFDedieu ». Je compte sur toi.

jeudi 12 juillet 2018

1938-2018 LA CÔTE NARBONNAISE par Jean CAMP[1] extraits / Fleury d'Aude en Languedoc.

LA ROUTE DES CABANES MONTE SUR LA POINTE NORD DE LA CLAPE : 

« A-t-on assez médit de cette côte languedocienne, de cette côte audoise qui semble faire piètre figure à côté des plages délicieuses qui bordent nos frontières maritimes ! On y rencontre, paraît-il, des moustiques insatiables, des étangs maussades, un vent inamical.
            Les Audois sont les premiers à le dire parce qu’ils aiment bien à exagérer un peu et qu’ils tiennent ainsi à distance l’étranger qui pourrait les envahir. C’est encore un vieux reste des croisades albigeoises qui persiste !
            Mais que de coins exquis le long de l’ourlet méditerranéen dès l’instant où la Clape mire ses premiers rochers dans l’eau capricieuse de l’Aude ! Peu de gens de chez nous connaissent les Cabannes, à l’embouchure de notre fleuve régional. Il faut passer Salles, Fleury, s’engager sur un chemin sinueux à flanc de garrigue, hier encore redoutable aux voitures, aujourd’hui accueillant aux ressorts les plus délicats. Les vaillants petits clos de pierrailles l’escortent vers la mer : la terre rouge se strie du vert sombre des yeuses et des amandiers. En bas la plaine, puits à vin où, comme une de ses vertes couleuvres qui hantent nonchalamment ses bords, entre les roseaux et les touffes de mauves, glisse le limoneux Atax… /…

Les Cabanes-de-Fleury.

DEPUIS LA DESCENTE DE LA PAGEZE, LA VUE PUIS LES CABANES-DE-FLEURY : 

« … tandis que l’horizon marin se déploie jusqu’aux franges écumeuses de Vendres et de Valras, voici le petit hameau aux toits de « sénils », aux treilles trapues, aux barques caracolantes. Quinze cabanes tout au plus, une école grande comme un mouchoir de poche, une tonnelle accueillante pour boire frais. 

1967 Les Cabanes lors du tournage du Petit Baigneur.


Mais la vie terrienne et la vie marine s’y juxtaposent harmonieusement. Les grands filets sèchent le long des vignes. En automne on peut du même geste manœuvrer le lourd carré, terreur des anguilles, ou cueillir la grappe poisseuse dont le miel, sous les dents, se mêle au sel du sable fin. Pieds nus sur la terre battue, tandis que les cigale se grisent de leur jazz monotone, vous y dégusterez les plus savoureuses bouillabaisses du monde et quand, à l’heure de la sieste, vous fermerez à demi les yeux, le rai lumineux qui glissera entre vos cils, les mélopées lointaines, les jurons lancés comme des pierres et le clapotis des eaux voisines vous feront rêver un instant à une côte barbaresque, douce et fruste à la fois, très loin d’ici, très loin de notre fade civilisation… » 

Jean Camp



[1] EN LANGUEDOC MEDITERRANEEN / Revue des Agriculteurs en France 8, rue d’Athènes PARIS / Supplément au numéro de juin 1938.