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vendredi 15 décembre 2017

NOIR, PERIGOURDIN ET OCCITAN TOUJOURS / Le sacrifice du cochon

Au pays de l’Albine, dans le Périgord vert, les cochons sont noirs (1). L’Albine ? une maîtresse femme capable de s’occuper des bêtes, de faucher, de moissonner, de tenir son intérieur. Sourcière, presque sorcière comme l’écrit si bien son petit-fils Fernand (2), elle soigne aussi bien les gens que les animaux. En osmose avec sa terre, les plantes, les champignons, le gibier, elle préfère dire « braconneuse » que braconnier. Dans sa cave, ses liqueurs, son vin, sept eaux différentes (de rosée, d’aspic, de crapaud, de rossignol, de la Saint-Jean, de Sainte-Catherine, électrique aussi !), cent-quarante-sept bocaux de légumes, de fruits, de confitures, de quoi tenir un siège ! et cinq gros pots de grès pour le lard, le salé, les cochonnailles !   
   
 
Je vais le relire ce livre, surtout que je ne me souviens pas des pages sur le cochon. Je les ai cherchées pourtant : je présumais que dans les fêtes qui comptaient à la campagne, entre Balthazar et Jésus, un jour lui était dévolu !  


Entre les Rois et le mercredi des Cendres, en effet, avant le Carême qui annonce Pâques, il faut en profiter : le sacrifice du cochon est alors l’incarnation des plaisirs, de l’abondance. Et avec carnaval, les licences permises, il vient renchérir sur le pêché de chair…


« Il faut faire carême-prenant avec sa femme et Pâques avec son curé… »


« Iéu crese qu’aquest caremau

Lou salat nous fara pas mau. » D. SAGE



«  A caremo, amo li tiéu

E à Pasco, amo Diéu. » (3)



« … Pour tuer le cochon, l’Albine n’avait pas son pareil. Elle officiait dans tous les environs… »

Ce n’est pas tant de le tuer, mais de bien le saigner, précise Fernand ; la qualité de la viande, aussi, en dépend. L’Albine qui ne ratait jamais son coup ne manquait pas de faire ensuite la blague du couteau. Le plus sérieusement du monde, comme chaque garçon avait alors le sien en poche, elle s’en faisait prêter un pour le faire prestement disparaître dans le cul du cochon… « Le bon Dieu te le rendra ! ». Le lendemain, contrairement au charcutier, elle rendait son bien au nigaud déconfit. Les mœurs étaient rustiques, les gens moins délicats alors !  


Dans le travail qui s’ensuit, en montant vers Limoges, ils brûlent les poils du gagnou (cochon en limousin, vous aviez compris) avec des poignées de paille puis raclent avec des bouts de tuile neuve. Le cochon est attaché sur une échelle dévolue à cet usage unique puis l’experte ouvre l’abdomen vers le bas, la poitrine. Ensuite, contrairement à Sorgeat (le climat sans doute), la carcasse est aussitôt débitée et l’Albine s’attelle à la confection des boudins.

Suivent quatre pages sur ce travail. L’auteur conclut avec un dicton en occitan version limousine :


« O semble un porc, ne forô dô bé qu’après so mor. » (Il est comme un cochon, il ne fera du bien qu’après sa mort).


Entre les Rois et Mardi Gras, nous reviendrons en détail sur toutes ces préparations qui devaient tenir jusqu'à la soudure, sans possibilité de conserver par le froid et en tenant compte de l'humidité du climat atlantique chez l'Albine (à Fleury aussi, par rapport aux villages de l'intérieur, le marin, lou marinas posait problème).
  
     

(1) Cul noir périgourdin avec seulement la tête et la croupe noires. 

(2) Fernand Dupuy / L’Albine / Librairie Arthème Fayard 1977 (Elle a 90 ans lors de l’écriture du livre).

(3) Je crois que ce carême le salé ne nous fera pas mal / Pour carême aime les tiens et à Pâques aime Dieu. Frédéric Mistral, Trésor du Félibrige, entrées « caremau » et « careme ».   


Photo de l’Albine sous son fagot de fougères empruntée à l’auteur Fernand Dupuy (1917-1999)… que ses mânes me pardonnent…