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dimanche 29 octobre 2023

Encore DAUDET Alphonse... sur la Camargue, pour toujours.

Qui essaie de cultiver un art se nourrit de tout ce qui s'est fait avant lui comme un arbre se nourrit des couches de feuilles mortes des saisons passées sans lesquelles il lui serait impossible de pousser...

Arles 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Chensiyuan

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa  lettre ” « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /... 

Camargue 2017 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Jac. Janssen from Baarlo lb. NL


Saladelles de l'Étang de Vendres 2016

Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. Les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »

Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  

Étang_de_Vaccarès martelhières 1964 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Dr Mary Gillham Archive Project

Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhodanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »

Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Vivre c'est aimer. Merci, monsieur Daudet ! 

mercredi 25 octobre 2023

ODE AU-DELÀ DU DELTA... / Rhône, Aude, Llobregat, Èbre

 « ... Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, ~ heureux comme avec une femme. »

Sensation, Arthur Rimbaud (1854-1891).

Le Rhône embrasse ses îles et pousse les terres de Camargue vers le sud, et pas seulement dans sa propre limite. La situation climatique, entre hautes pressions au nord et la situation dépressionnaire due à la Méditerranée, mer chaude, une situation à l’origine de violents transports d’air entre les deux états ; le Mistral, les Cers, liés aux couloirs rhodanien, audois, de l’Èbre en Catalogne, en forment les porte-bannières tandis que, plus généralistes, les tramontanes, comme le nom l’indique, descendent des montagnes. Transports d’alluvions aussi, tirées des montagnes, venues combler les avancées de la mer. La géographie, en effet, duplique le schéma camarguais d’engraissement avec ses lagunes et lidos, d’érosion, aussi, de la côte. 

Du Rhône à l'Èbre.  Atlas Classique, Schrader & Gallouédec Hachette 1953


A quatre cents kilomètres, chez nos frères de Catalogne, c’est l’Èbre qui avance ses bras dans cette même Méditerranée Occidentale. Entre les deux, le Llobregat comme épongé par Barcelona (1) mais réservant encore des espaces naturels intéressants. Et, pardon de le mettre en avant « parce que c’était lui, parce que c’était moi », si présent dans ce qu’il a de sanguin, de sudiste, d’occitan, le fleuve qui continue d’échapper aux hommes venus le dompter, l’Aude qui rendit l’île de la Clape au continent, la “ rivière ”, redoutée mais familière des Pérignanais de toujours, l’Atax d’un delta aussi caché que mystérieux... 

(1) si quelqu’un peut préciser pour le Riu Fluvia (Golfe de Roses) ainsi que le Riu Tèr d’une trilogie catalane lexicale : Têt, Tech, Tèr... Sinon on parle du Mistral, du Cers du Rhône à l'Aude, de Mestral, Magistrau, des Cerç ou encore Çerç, de Tarragona à l'Ébre. 

vendredi 20 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane /Alphonse Daudet. (fin)

 «... La nuit, quand le mistral souffle et que la maison craque de partout, avec la mer lointaine et le vent qui la rapproche (1), porte son bruit, le continue en l’enflant, on se croirait couché dans la chambre d’un bateau. 

Gardian Camargue_Cabane début_XXe_s Carte Postale ancienne Domaine Public


Mais c’est l’après-midi surtout que la cabane est charmante. Par nos belles journées d’hiver méridional, j’aime rester tout seul près de la haute cheminée où fument quelques pieds de tamaris. Sous les coups du mistral ou de la tramontane, la porte saute, les roseaux crient, et toutes ces secousses sont un bien petit écho du grand ébranlement de la nature autour de moi. Le soleil d’hiver fouetté par l’énorme courant s’éparpille, joint ses rayons, les disperse. De grandes ombres courent sous un ciel bleu admirable. La lumière arrive par saccades, les bruits aussi ; et les sonnailles des troupeaux entendues tout à coup, puis oubliées, perdues dans le vent, reviennent chanter sous la porte ébranlée avec le charme d’un refrain… L’heure exquise, c’est le crépuscule, un peu avant que les chasseurs n’arrivent. Alors le vent s’est calmé. Je sors un moment. En paix le grand soleil rouge descend, enflammé, sans chaleur. La nuit tombe, vous frôle en passant de son aile noire tout humide. Là-bas, au ras du sol, la lumière d’un coup de feu passe avec l’éclat d’une étoile rouge avivée par l’ombre environnante. Dans ce qui reste de jour, la vie se hâte. Un long triangle de canards vole très bas, comme s’ils voulaient prendre terre ; mais tout à coup la cabane, où le caleil est allumé, les éloigne : celui qui tient la tête de la colonne dresse le cou, remonte, et tous les autres derrière lui s’emportent plus haut avec des cris sauvages.

Bientôt un piétinement immense se rapproche, pareil à un bruit de pluie. Des milliers de moutons, rappelés par les bergers, harcelés par les chiens, dont on entend le galop confus et l’haleine haletante, se pressent vers les parcs, peureux et indisciplinés. Je suis envahi, frôlé, confondu dans ce tourbillon de laines frisées, de bêlements ; une houle véritable où les bergers semblent portés avec leur ombre par des flots bondissants… Derrière les troupeaux, voici des pas connus, des voix joyeuses. La cabane est pleine, animée, bruyante. Les sarments flambent. On rit d’autant plus qu’on est plus las. C’est un étourdissement d’heureuse fatigue, les fusils dans un coin, les grandes bottes jetées pêle-mêle, les carniers vides, et à côté les plumages roux, dorés, verts, argentés, tout tachés de sang. La table est mise ; et dans la fumée d’une bonne soupe d’anguilles, le silence se fait, le grand silence des appétits robustes, interrompu seulement par les grognements féroces des chiens qui lapent leur écuelle à tâtons devant la porte…

La veillée sera courte. Déjà près du feu, clignotant lui aussi, il ne reste plus que le garde et moi. Nous causons, c’est-à-dire nous nous jetons de temps en temps l’un à l’autre des demi-mots à la façon des paysans, de ces interjections presque indiennes, courtes et vite éteintes comme les dernières étincelles des sarments consumés. Enfin le garde se lève, allume sa lanterne, et j’écoute son pas lourd qui se perd dans la nuit… ». 

(1) Daudet confond avec le marin tel celui que nous avons eu, en tempête, cette nuit du 19 au 20 octobre 2023. 

Barraca_tradicional_del_Delta_del_Ebro 2005 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Pixel 


jeudi 19 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane / Alphonse Daudet. (1)

C'est un peu le “ qui se ressemble s'assemble ”... à première vue une lapalissade puisque la focale est mise sur un Sud concret, thème transversal, sujet principal, corps incontournable serait-il subjectivement proposé... Une approche certes personnelle mais étayée en premier lieu par le contexte isobarique de la Méditerranée nord-occidentale, présentant souvent des centres dépressionnaires qui attirent de forts flux d'air en provenance de zones plus tranquilles au nord et à l'ouest. Dans ce cas de figure, l'encaissement plus ou moins marqué des couloirs rhodaniens, audois et de l'Èbre chez nos voisins catalans provoque une accélération des vents, Mistral et Cers, attirés par la mer plus chaude (peut-être un effet venturi). Deuxième ressemblance bien marquée à cause du travail des fleuves concernés, Rhône, Aude (1), Èbre, la formation des deltas respectifs, le colmatage de la plaine littorale jusqu'à la Salanque avec les apports de l'Agly, de la Têt, du Tech (Pyrénées-Orientales). Une végétation particulière marque l'arrivée de l'eau douce en amont des étangs, les roselières de sagnes, sénils, suivant les appellations locales du roseau phragmite, utilisé en tant que matériau à portée pour construire les abris humains : la cabane du gardian en Camargue, celle des bords de l'étang de Salses, celle du delta de l'Èbre, pour celles dont nous disposons en photos. 

Le_Barcarès_-_Pinède_et_Chemin_de_l'étang_(CP) début XXe Domaine Public Éditeur inconnu.

Le_Barcarès_Poblado_pescadores 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Yeza

À laisser l'essentiel du boulot à Daudet, il fallait bien que je participe aussi un peu, quitte à être en accord avec les fleuves travailleurs qui nous concernent.      

Alphonse Daudet (1840-1897) a pris le bateau à Arles pour une partie de chasse en Camargue. Son reportage figure dans les Lettres de mon Moulin ; c’est un véritable tableau de la cabane dans le delta, toute une atmosphère autour des chasseurs si petits au sein de la nature (ci-dessous, une reprise presque intégrale du texte).

EN CAMARGUE / II La Cabane (Alphonse Daudet).

« Un toit de roseaux, des murs de roseaux desséchés et jaunes, c’est la cabane.../...Type de la maison camarguaise, la cabane se compose d’une unique pièce, haute, vaste, sans fenêtre, et prenant jour par une porte vitrée qu’on ferme le soir avec des volets pleins. Tout le long des grands murs crépis, blanchis à la chaux, des râteliers attendent les fusils, les carniers, les bottes de marais. Au fond.../...un vrai mât planté au sol et montant jusqu’au toit auquel il sert d’appui. (à suivre) 

(1) Il semble prétentieux d'accoler l'Aude aux noms aussi prestigieux de l'Èbre et du Rhône, pourtant notre “ rivière ”, simple fleuve côtier, reste un des cours d'eau des plus travailleurs, apportant 4 millions de tonnes de sédiments par an (Rhône 10 millions, plus que la moitié depuis la multiplication des barrages / Pas de données sur l'Èbre sinon que le delta risque de disparaître à cause de 70 barrages / à titre indicatif le Gange-Brahmapoutre porte 660 millions de sédiments, ce qui a comblé la fosse du Bengale, à l'origine plus profonde que celle des Mariannes ).  


lundi 16 octobre 2023

LE GARDIAN (fin).

Quand arrive le printemps, le gardian doit laisser la cabane (1) qu’il habite pour rester avec le troupeau, c’est la règle : appuyé contre un arbre, l’escalassoun, le poteau permettant de voir loin, dont il monte les barreaux, n’est utile que si les bêtes sont à portée, de même que les sonnailles au cou de celles qui mènent, également à celui de celles, toujours les mêmes, qui s’aiment à la traîne ; en principe, le troupeau parcourt un même itinéraire, mangeant en avançant pour se retrouver le soir là où il dort. La garde se fait à pied, “ a bastoun plantat ”, à bâton planté (lou calos), en menant le cheval par la bride, ce qui laisse du temps pour pêcher dans les roubines, les étangs, braconner les lapins alors si nombreux. 


'Gardian'_in_Camargue,_Provence,_France  2012 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Albarubescens

Le gardian doit trier les bêtes, assurer le bistournage (les castrer), leur imposer, à l’âge d’un an, le fer rouge du mas (ferrade) en parallèle avec les escoussuros, les entailles à l’oreille.

 Le gardian est aussi “ carretier ” lorsqu’il conduit la charrette au marché d’Arles, le samedi matin, pour des provisions et également pour que le régisseur (lou pelot) y traitât les affaires du mas, des achats nécessaires à la vente des bêtes, à l’embauche de main-d’œuvre. Arles la romaine, là où le Petit Rhône se sépare du Grand, est la capitale de la Camargue, la ville en bordure des grands espaces finalement rendus à la nature par l’Homme (2).

C’est grâce à elle, à cheval entre la vie moderne, les échanges, la Provence riche de ses productions agricoles, en lien avec le lointain et, en aval, le rythme bien plus lent, paisible du delta à l’atmosphère immuable, que l’île du fleuve a été mise en valeur. C’est dans ses rues que le gardian vient acheter la chemise à pois, le chapeau de feutre, la veste en velours, le gilet, le pantalon en peau de taupe (un enduit souple et vernis ressemblant à un cuir sur moleskine, un coton tissé serré). En Arles se déroule la fête la plus renommée, célébrant, le dernier dimanche d’avril, la Confrérie des Gardians datant de 1572. Sur la place du forum, gardée d’honneur par une grille de tridents, les ficheirouns des gardians, la statue de Frédéric Mistral qui écrivit si bien sur ces cavaliers, les traditions, la Camargue. 

Fête_des_Gardians à Arles 2014  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Finoskov

Le gardian et sa monture sont à l’honneur lors des cérémonies religieuses, baptêmes et mariages avec des saladelles comme bouquet de la mariée.

À l’origine d’un statut modeste, voué à son travail, le gardian est devenu acteur incontournable des fêtes à la belle saison, dans le maintien des traditions, autre chose que le cow-boy dévoyé dans la violence des colts, des hors-la-loi, des chasseurs de primes alors que l’image de l’homme chevauchant reste irrésistible partout sur Terre... Alors plutôt rappeler ce gaucho de la pampa, intime de sa monture, au point, au seul pouvoir d’un doux murmure, de faire allonger son cheval dans l’herbe afin de reposer sa tête sur l’encolure sans que l’animal n’en soit perturbé... Faire confiance, par amour... 

Aimer tue même si c’est vivre... Et vivre sans aimer, est-ce vivre ? 

(1) Un mot sur la cabane du gardian, blanchie à la chaux, au toit de sénils bruns (chaume de roseaux phragmites séchés) : seul le mur pignon, tourné au midi, est maçonné ; à l’intérieur un conduit de cheminée occupe le versant opposé à celui de la porte ; le tour est en roseaux sinon en torchis ; le fond est en forme d’abside, afin d’offrir le moins possible de prise au vent ; la poutre faîtière dépasse cet arrondi tourné au Mistral, ce bout servant parfois, à l’aide d’une corde, à arrimer la cabane; le faîte maçonné coiffe les deux pentes du toit fait de paquets de sagnes ; meublé simplement, le modeste intérieur d’une seule pièce est parfois partagé avec la chambre derrière. Généralement les épouses des gardians vivaient à Arles. 

(2) sans cette présence qui régule en plus ou en moins l’arrivée d’eau douce, la Camargue ne serait peut-être qu’un désert de sel...

samedi 14 octobre 2023

LE GARDIAN (1).

Aussi présent que les troupeaux, l’élevage représentant la seule économie du delta avant la gestion des eaux grâce aux digues, aux roubines, au pompage, à l’immersion pour le riz, le gardian, à l’origine, était appelé “ egatié ”, “ gardian d’ego ”, de juments ; après la période des mises bas, il coupait les crinières pour, en hiver, tresser des sedens, cordes de travail ou de parade.

En équipe, il est chargé de marquer au fer les poulains de deux ans, de castrer ceux de trois (il s’agit de comprimer les conduits séminaux). Traditionnellement, cette besogne avait ses spécialistes piémontais, béarnais ou gardians eux-mêmes... Notons que pour les taureaux, ce retournement contre nature se faisait devant tous les bovins mais pas en ce qui concerne les chevaux. 

Camargue_-_A_bull_with_its_'gardian'_-_panoramio 2009 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Numenor

Afin d’assurer la conduite et la garde du troupeau, le gardian sélectionne et forme un cheval de quatre ans jusqu’à ce qu’il sache se placer, rassembler dans un rôle de chien de berger. Il y faut douceur, patience, expérience, malice aussi puisque l’Homme joue sur la gourmandise pour amener à lui le Camargue ne résistant pas à l’avoine. Un bon cheval est rare, ils sont peu nombreux à avoir le sens du taureau ; suite au débourrage qui dévoile les qualités du cheval (il prend alors un nom en rapport avec son caractère, ses aptitudes), la formation demande deux, trois ans, à faire que le cheval accepte avant tout ce passage de la liberté à la domestication, de l’indépendance à la servitude consentie, qu’il en arrive, suite aux exercices répétés à la longe dans le manège, à supporter la bride, le caveçon, la selle et enfin le cavalier jusqu’à ce que ce dernier fasse corps avec l’animal (1), dans une complicité de travail bien fait, de sentiments extrêmes. Le bon gardian saura le ménager, lui éviter les efforts inutiles, surveiller sa santé. Entre eux deux, une amitié exclusive, intense souvent, qui finira avec une grande émotion, par la retraite, le repos bien mérité, le retour aux sources au sein d’une harde, jouant de la tête, de la queue, n’arrêtant que pour avoir l’œil sur l’intrus venu déranger la quiétude des maremmes seulement animées par les troupeaux et les oiseaux. 

Gardian Cabern du mas de l'Aamarée années 1900 Carte postale ancienne Author B. F.

L’hiver encore, si le gel saisit les étangs, le gardian devra casser la glace pour les bovins qui, contrairement aux chevaux, ne savent pas libérer un trou d’eau pour boire.

Toujours l’hiver qui correspond aussi à la période de fabrication des sonnailles, du salabre (dans un autre sens, un synonyme d’épuisette) des poulains, un dispositif garni de pointes destinées à piquer le ventre de la mère qui du coup n’accepte plus le nourrir, des mourraus (de mourre, museau), du même principe pour les veaux, une pièce de bois l’empêchant de téter mais non de brouter. (à suivre)

(1)  en 1995, la monte gardianne a été reconnue par la Fédération Française d’Équitation.

vendredi 29 septembre 2023

LE CAMARGUE (fin)

Rustique, maniable, capable de voltes soudaines, passant vite du trot au galop, le cheval de Camargue s’oriente de lui-même, ne s'engage que sûrement, sait comment aborder les sols qu’il parcourt, les dangers à éviter : le gardian lui fait confiance. En 1905, afin de prouver son endurance, le marquis de Baroncelli lança deux cavaliers jusqu’à Lyon et retour suite à un jour et demi de repos, soit 630 kilomètres au pas en 9 jours (à 7 km/h) dont une étape de plus de 11 heures de selle pour les 80 kilomètres parcourus entre Montélimar et Saint-Vallier. À l’aise dans l’eau, il nage pour traverser les roubines et même le fleuve. En bord de mer, les gardians et deux chevaux sauveteurs ont évacué des marins en danger depuis les navires drossés par la tempête. Officiellement, intégré tel un membre à part entière de la famille, il suivait l’enterrement de son maître, un crêpe noir à la selle. Le Camargue est un cheval de selle, d’attelage aussi, ce qui demandait moins d’aptitudes, l’apprenti étant généralement mené par un compagnon plus âgé, formé de longue date. Autonome, il démontre des qualités remarquables pour dégager les roues des bourbiers. Son rôle ne s’est pas limité au cadre de la manade en tant qu’acteur sinon bétail. Pour les armées, il a été cheval de guerre, de bât. Dans un registre apaisé, les commerçants allaient en jardinières, de village en village, les agriculteurs les regroupaient afin de dépiquer le blé (un piétinement de plusieurs dizaines de kilomètres journaliers pour chaque animal), les vignerons l'utilisaient [Joséphine Palazy, mon arrière grand-mère, utilisait un cheval léger pour aller à la ville (Béziers, Narbonne). Je ne sais pas si c’était un Camargue... Je les imagine sur la route blanche, poudre de riz... petit, je les imaginais en écoutant «... sur la route blanche, un petit âne trottinait...» Reda Caire 1939]. 

Camargue_Jument_et_son_poulain  2011 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author ell brown


Crin Blanc, le cheval à part d’un pays à part peut continuer à galoper dans son pays d’eaux, de terre et de ciel... Partageant la vedette d’un court métrage de 1953, Crin Blanc, le cheval rétif aux hommes, ne transigera sur son indépendance, son caractère sauvage, que par amitié pour Folco, un enfant qui lui ressemble... Folco, un prénom singulier pourtant déjà évoqué ici à propos du “ marquis ” de Baroncelli, un personnage inséparable de la Camargue, du monde des taureaux, chevaux et gardians. 

Sylvie-Vartan-Johnny-Hallyday 1965 Domaine Public Author  国際情報社


1963 “ D’où viens-tu Johnny ? ”... il vient de Paris notre Johnny appelé à devenir national, dans un scénario qui lui fait trouver refuge en Camargue, avec des gardians, des gitans... sur fond de taureaux et chevaux sauvages. 

MarioB141819184704_art Cinéma de jadis Photo sans but commercial autorisée

1970 “ Heureux qui comme Ulysse ”, encore un film [Ce film je l’ai vu au cinéma Balayé, à Fleury, au village... Sans que cela soit ronflant, reconnaissons que sans les moyens d’une ville comme Narbonne, déjà pourvue de nature, nos villages ne se retrouvaient pas dépourvus de culture...] avec Ulysse, le Camargue en vedette, servi par Antonin (Fernandel) : un vieil ouvrier chargé de mener un vieux cheval de 28 ans, réformé, à la mort, auprès d’un picador aux arènes. Désobéissant, Antonin va emmener Ulysse en Camargue. Une belle histoire célébrant la Provence, Arles, la Crau, le bac de Barcarin, la voix de Brassens chantant plus encore les sons “ an ”, trahissant ce qui lui restait de pur accent sétois, chantant la liberté, les vertes années, l’amitié : « ...Battus de soleil et de vent, perdus au milieu des étangs, on vivra bien contents, mon cheval, ma Camargue et moi... » (chanson du film, paroles Henri Colpi, musique Georges Delerue). Après 25 ans de bons et loyaux services, le cheval du gardian est rendu à une vie libre au milieu des siens... Au bout du bout, les chevaux exceptionnels, eux, hommage ultime, sont enterrés debout, avec tout leur harnachement de travail.

mardi 26 septembre 2023

Le CAMARGUE du GARDIAN.

Gardians 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Amage9

« C’est le chant du gardian de Camargue, Belles filles attendez son retour... Gardez vos belles fermement... il vous sourira... vous prendra dans ses bras... votre cœur dira oui par mégarde... » ... et l’amant ira se faire voir ! Malgré la voix mielleuse de Tino Rossi, cette chanson en dit beaucoup des mœurs de l’époque, du machisme, du rang inférieur de la femme ravalée à un statut animal... un butin, une femelle bonne à prendre, à domestiquer ! La chanson figure dans le film « Le soleil a toujours raison », paroles de Jean Féline (1908-1945), musique de Loulou Gasté (1908-1995), elle date de 1943... emblématique donc de l’état français de putain et de ceux en vue dans la collaboration... Tino Rossi, Micheline Presle, et Brasseur, Delmont, Montero, et Blavette et Moulin... enfin, Amouroux l’a écrit : « Quarante millions de putainistes »... 

Camargue_horse 2007 Domaine public Author TwoWings

Il est vrai que le gardian illustre un mythe ; il est représenté à cheval, l’animal qui a si bien valorisé l’autre animal qu’est l’Homme. L’Histoire alimente le mythe, par exemple avec les Numides, les Huns, la Horde d’Or, les Cosaques ; ensuite, il suffit de faire référence au cow-boy de l’ouest “ américain ”, au gaucho de la pampa, au Berbère marocain pour son baroud lors de la fantasia (tbourida) sinon à l’éleveur mongol descendant des khans Gengis, Koubilai, Tamerlan génocidaire... pour en arriver au gardian, dans un registre heureusement apaisé... La curiosité pour les gardians de Camargue va de pair avec l’intérêt porté aux chevaux du delta. Que serait-il sans le cheval ? un simple bouvier armé d’un bâton... Que serait l’Homme sans le cheval ? Certainement pas ce qu’il est devenu...  

LE CAMARGUE.     

Ce petit cheval gris clair adapté à l’hiver, à l’été, au vent, aux insectes, à la poussière, aux sols mouvants. Il mesure entre 1.35 et 1.50 m. au garrot, pèse entre 300 et 500 kilos ; gris clair, sa robe qu’on croit blanche a de positif qu’elle attire moins les insectes (l’Homme a bien sûr favorisé cette disposition naturelle mais tous les essais de croisement pour un équidé plus grand, plus fort, ont échoué, les améliorateurs introduits ne résistant pas longtemps au milieu, aux conditions climatiques). Longtemps dépréciée, la race datant de de l’âge de pierre donc pourtant adaptée à son milieu depuis des millénaires n’a vu son standard protégé qu’en 1977.

S’il n’est pas dressé pour travailler, promener les touristes, participer aux fêtes locales, il vit en troupeau libre dans son milieu naturel, un étalon (lou grignoun), susceptible, agressif, menant son harem de femelles. Celles-ci mettent bas sans que l’Homme n’intervienne, le gardian devant alors seulement avoir un œil sur les primipares et aussi s’assurer que la naissance n’a pas pour cadre un endroit dangereux.  Ces juments sont plus nombreuses que les mâles, ces derniers étant prélevés pour le “ travail ”... Le sont-ils pour la viande ? les sources, peut-être par retenue, n’en disent rien... et je crois me souvenir qu’à l’orée des années 60, Arles était connue pour son saucisson d’âne (enfant, ça interpelle quand les mots de Francis Jammes nous touchent... “ J’aime l’âne si doux marchant le long des houx... ” avant que cela ne choque, plus tard). Les hardes côtoient les taureaux sans problème, le “ blanc ” et le noir des bêtes offrant au Monde l’image aussi esthétique qu’appréciée de la Camargue. Une cohabitation pacifique qui a ses limites puisque le cheval sait psychologiquement s’imposer au taureau pour l’écarter d’un coin de bonne herbe notamment. (à suivre)    

lundi 18 septembre 2023

Du RIZ bio (1).

 De la Haute Camargue cultivée, fluvio-lacustre, recevant, par les roubines, les martelières (1), toute l’eau du Rhône nécessaire, résidus d’engrais et de pesticides descendent en aval jusque dans le Vaccarès. D’une longévité pouvant atteindre trente ans, les flamants méritent pourtant plus d’égards. En ce sens une initiative d’agriculture écologique promet pour l’avenir.

Au moins deux agriculteurs la promeuvent ; ils sont passés au riz 100 % biologique grâce à un petit ouvrier désherbeur capable de contrer la croissance opiniâtre de la panisse et du triangle, des adventices sauvages qui harcèlent et rudoient le riz domestique (2). 

Riso_Amaro 1949 Domaine Public Author Giuseppe De Santis, Otello Martelli. Uploaded by User Pizzaebirra2008 om Italian wikipedia.

“ Un petit ouvrier désherbeur ” ? Nous sommes loin de « Riz Amer » (1949) de ce cinéma italien aimé à jamais, depuis, avec Vittorio Gassman, le short moulant, la poitrine arrogante de Silvana Mangano (1930-1989) surtout... Dans la vallée du Pô si vite descendu dans sa plaine, c’étaient alors les mondines, ces saisonnières du riz jusqu’aux plus basses classes, plus exploitées, faisant tomber au plus bas le salaire (un des thèmes du film) : elles éliminaient à la main les mauvaises herbes, émondaient les rizières. Mais cette première moitié du XXe siècle est si loin, quoique, relativement loin seulement, pour ceux de mon âge, le temps d’une vie passant si vite... Et ces “ petits ouvriers ” ne sont pas non plus de cette main-d’œuvre immigrée venue d’Espagne ou d’Italie. 

Récolte_du_riz_en_Camargue 2009 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license Auteur Bérichard

Tel que nous le présente, non sans malice, Bernard Poujol, le “ petit ouvrier désherbeur ”, n’a rien à voir déjà avec  les moissonneuses à chenilles, les roues “ squelettes ” des tracteurs. Ouf ! C’est d’autant plus rassurant que pour la taille des exploitations, les rapports avec l’argent de l’Europe, cette Camargue du riz fait plutôt penser à la Beauce qu’à la petite production du terroir, le peu de présence humaine aidant à ce qu’il n’y ait pas d’association pour contester la façon de conduire les cultures.

Ce “ petit ouvrier désherbeur ” nous vient du Japon, du moins l’idée. Passant avec le train, le fils de Bernard qui l’a vu à l’œuvre, s’est renseigné avant d’en parler à son père : dans les rizières nippones, ce sont des canards qui enlèvent les mauvaises herbes, l’heteranthéra plus particulièrement. 

(1) Les vannes, “ martelhières ” on dit à Fleury, en languedocien francisé. 

(2) La “ panisse ”, panic des marais dit aussi “ pied-de-coq ”, “ patte-de-poule ”, infeste les rizières. Elle absorbe 80 % de l’azote, abrite des virus mosaïque, accumule des nitrates dangereux pour les animaux. Seul l’émondage des mondines permettait d’en limiter les méfaits dans la plaine du Pô (voir “ Mon cinéma italien ” / Un Messager qui surgit hors de la Nuit 2). Le triangle est une variété de scirpes.

Camargue_brulis_chaume_rizière 2014 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur Ddeveze


vendredi 15 septembre 2023

BEAUDUC & PIÉMANSON, plages de Camargue (fin).

Camping_sauvage  the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur Lubman04

Sauf qu’aux temps des tolérances a succédé celui, plus corseté, de l’application des lois, de l’autorité institutionnelle. Ainsi, l’État, bien que jactant plus qu’il n’agit, s’est attelé un jour à régler le cas des cabaniers... Compte tenu des tergiversations, des désaccords sinon l’opposition entre les administrations centrales et locales, l’inertie se confondant avec le temps long, nous nous devons de relativiser cette volonté étatique. Pour être concret, chez nous, la deuxième moitié des années 70 a mis fin à la pratique du camping sauvage, d’abord à Saint-Pierre-la-Mer, ensuite à Narbonne-Plage et aux Cabanes-de Fleury où certains se sont ajoutés afin de profiter de quelques années supplémentaires. De leur côté, les Beauducois, loin de l’agitation estivale des stations nouvelles entraînant les anciennes, également revitalisées par le Plan Racine, ont pensé, non sans logique, qu’un long sursis devrait permettre à leur tribu perdue de continuer. Nonobstant, plutôt que subir, ils ont préféré se faire valoir en mettant en avant leur société originale pourquoi pas porteuse d’avenir, une attitude qui s’est muée en plaidoyer lorsque, en 1996, en la personne de Michel Barnier, l’État a refusé, proposée par l’ensemble des organisations de défense de la Camargue, la charte de protection globale, parlant de la pollution du Rhône, des rejets de l’agriculture dans le Vaccarès mais pas plus de Beauduc que de Piémanson. La nouvelle mouture de 1998, par contre, vaut un réquisitoire en règle contre les plages sauvages ; en dépit des efforts des associations, elle mentionne :

* ce littoral soumis à une trop forte pression touristique, le piétinement de la flore, le dérangement des oiseaux, l’envahissement par des plantes importées (griffes de sorcière). 

Dune_à_Carpobrotus_edulis 2009 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur Lubman04

* la pollution, les épaves de véhicules et caravanes en fin de saison.

* la circulation anarchique.

* l’hygiène en absence de sanitaires, d’évacuation des eaux usées, d’enlèvement des ordures ménagères.

* le dérangement à la faune sauvage, la divagation d’une faune domestique, dont les chevaux.

 Et tout converge avec la fin du camping sauvage, l’illégalité de l’occupation par certains d’espaces en commun particuliers, sans y être autorisés malgré les règlements (Domaine Public Maritime, zones protégées, sites inscrits...). 

Plage_de_Piemanson 2014 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Charlottess

En 2004, vingt cabanons sont détruits dont deux restaurants. Et si à partir de 1975, les installations se sont comptées par centaines, il ne devrait rester que quelques dizaines d’installations peut-être de pêcheurs de poissons ou de tellines... Et même ces derniers sont incités à partir parce que les tempêtes, l’élévation du niveau de la mer, l’érosion marine alors que tout ce secteur “ engraisse ” et que l’alternance entre plages qui diminuent ou qui augmentent  relève d’une réalité (aux Saintes-Maries, il faut protéger la côte : la carte de Géoportail montre la côte dotée de très nombreux épis sur une longue distance. À St-Pierre-la-Mer, au sujet de l’aménagement de la station, le maire a fait état d’une régression au niveau de la plage de Pissevaches et d’apports au centre de la station)

Source principale : La gestion d’un grand site camarguais : les cabanes de Beauduc (openedition.org) 

Plage_de_Piémanson_IMG_9326 2009 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Roehrensee

mercredi 13 septembre 2023

BEAUDUC et PIÉMANSON, plages de Camargue (1).

Sur le front continu entre la terre et la mer, la Camargue offre ses plages immenses (1), loin du monde, ouvertes aux grands espaces. À Beauduc, à Piémanson, des colonies humaines occupent le sable, de la belle saison au reste de l’année, suivant l’engagement qu’elles manifestent. 

Ma_cabane_à_Beauduc 2009 Creative Commons Attribution 3.0 Unported Auteur lubman04

En dehors des Saintes-Maries-de-la-Mer, la côte camarguaise déserte a attiré une marge de gens épris de liberté, de grand large, de vie, sans électricité, sans eau courante, sans possibilité d’approvisionnement, Port-Saint-Louis ou Arles ne se trouvant pas à côté. Ce besoin de vie simple et rustique, de voisinage aimable, à apprécier l’eau du ciel si elle veut bien pleuvoir, a marqué le bord de la mer en été, bien que dans des conditions plus faciles, au bord de l’Étang de Berre, à Leucate, à Pissevaches et aux Cabanes-de-Fleury chez nous. Ils sont nombreux lors de la belle saison, moins en dehors, rares à y demeurer toute l’année (5 ou 6 familles). Quand ils ne se présentent pas comme tels eux-mêmes, leur démarche fait d’eux des cabaniers d’un bout du Monde, malgré la quinzaine de kilomètres de mauvaise piste.

Au creux du Golfe de Beauduc, l’installation, ancienne, a été le fait de pêcheurs sur le lieu de travail, de subsistance, les loups et dorades fréquentant aussi le secteur, pour se reproduire, notamment. Dans les années 50, l’élan pour une vie nouvelle, le début des loisirs, favorisèrent la venue de ces cabaniers par choix, au départ, des employés des salins, des retraités locaux, d’Arles.  

Les cabanes de Beauduc, caravanes, vieux autobus, germes des petites maisons à vérandas pour la convivialité, construites par des artisans cabaniers, souvent de bric et de broc, alignées face au golfe sur le territoire des Saintes-Maries-de-la-Mer, sur les montilles, ces monticules au-dessus de l’inondable. Ces installations ont été possibles, d’abord grâce à la tolérance des Salins du Midi, ensuite à cause du flou laissé par les différentes protections de la Camargue : la Réserve Nationale dès 1926, le Vaccarès en 1942... les terres agricoles doivent également respecter des normes. Or Beauduc resterait en marge de ces zones très protégées si une première ZNIEFF ne concernait pas les dunes (jusqu’à 7 mètres de hauteur) et les marais du sud Camargue, une seconde le fond du golfe de Beauduc où viennent pondre des poissons à forte valeur ajoutée. Enfin, l’accessibilité des plages d’Arles, plus à l’est (Piémanson), plus fréquentées, poreuses aux rodéos mécaniques dans les dunes, à la délinquance importée, a occulté l’occupation moins voyante, plus vertueuse, de Beauduc. 

BeauducCabannedelindien 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Fparrel

Parallèlement, le village des cabaniers, s’il fait parler de lui, le fait positivement, illustrant un vivre ensemble réel :

* pas de problèmes de circulation sur les pistes de sable non équipées de panneaux.

* pas de problèmes aigus de voisinage.

À Beauduc, on se parle, on négocie, la vie commune prend, sur bien des points, le pas sur l’individualisme. On anticipe les difficultés, on envisage les solutions ensemble. En amont, et cela n’est pas anodin, si chacun est libre de trouver un coin pour sa caravane, l’acceptation par le groupe est essentielle ; les apéros, les lotos et fêtes organisés y contribuent. Ce vivre ensemble s’exprime aussi par la présence de trois associations, moins ou plus récentes mais en complémentarité, représentant les trois quartiers “ colonisés ” et tenant compte de la nature à préserver.  

(1)  À moins de huit kilomètres de Port-Saint-Louis-du-Rhône, avec les petites plages d’Olga et celle de Carteau (huîtres et moules), la plage Napoléon (sans caravanes et camping sauvage) s’étend sur une dizaine de kilomètres ; le parking y est payant (5 € / 9h 30-16h de mi-juin à fin août)... Dans ce secteur, ils parlent de “ cabanonniers ”. 

samedi 2 septembre 2023

AIGUES-MORTES.

Une impression d’abord : des étangs paisibles essaient, non sans peine, de contenir les colères du Vidourle et du Vistre ; l’homme entrepreneur, entremetteur, a, de sa patte, de ses canaux creusés, marié ces eaux grâce au vieux Canal de Bourgidou vers le Petit Rhône et, plus récent, le Canal du Rhône à Sète. Quant au chenal maritime du Vistre, c’est la mer qu’il joint au Grau-du-Roi... Ne dit-on pas que Saint-Louis voulait un port pour ne plus dépendre des marines italiennes ? Entre la Provence à l’Est, l’Empire à Marseille, le roi d’Aragon à Montpellier, Raymond VII de Toulouse à Agde plus au sud, il ne dispose que de ce débouché étriqué. Aux tractations et échanges avec les moines, succèdent, pour garder la possibilité d'embarquer, l’utilisation du Grau Louis suite à l’ensablement du chenal (sur la Grande-Motte aujourd’hui) ; suivent aussi les constructions des tours Carbonnière (en dehors de la ville) puis de Constance. Des franchises incitent une population dont des marchands à s’installer. En 1270 Louis IX embarque pour sa seconde croisade (la huitième) : elle lui sera fatale. Après lui, le fils s’attellera à la construction des remparts (terminés trente ans plus tard par Philippe IV le Bel qui y fera soumettre les Templiers à la question)...  

Les chenaux envasés, la malaria due aux marécages, la concurrence des autres ports causèrent la mort lente de la ville qui ne survécut qu’en tant que place forte et que grâce à l’exploitation des salins. 

Aigues-Mortes,_France_2022  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Gilbert Bochenek

La petite ville fortifiée de Camargue, même qualifiée de « Petite », en souvenir du bras de Saint-Gilles faisant aboutir une part du Rhône plus à l’ouest, dans l’Étang de l’Or (Mauguio), reste liée à bien des persécutions : les fortifications ne restent pas cantonnées à la défense passive, les remparts, les tours expriment aussi les violences que la force peut générer :

* l’emprisonnement et la torture des Templiers par Philippe le Bel (1307).

* le massacre par les Armagnacs de nombreux Bourguignons, alors alliés aux Anglais (janvier 1421) ; malgré l’hiver, les cadavres empestent ; la crainte d’une épidémie les fait jeter et empiler entre des couches de sel dans la tour sud-ouest dite « Tour des Bourguignons » !

*  l’emprisonnement de femmes dites hérétiques suite à la Révocation de l’Édit de Nantes (1685), dont Marie Durand, fille de pasteur, enfermée pour 38 ans alors qu’elle n’en a que 19.

* Plus grave encore car, plus récent, datant de 1893, aux Salins-du-Midi, dans un contexte de chômage et de tensions entre les Aiguesmortais, les “ Ardéchois ” (paysans de l’intérieur), les trimards (vagabonds embauchés) d’une part et les Italiens (Piémontais) de l’autre, le massacre de sept de ces derniers par les trois autres groupes malgré la présence des gendarmes (une cinquantaine d’Italiens en garderont des séquelles à vie). S’ensuivit un scandale judiciaire puisqu’un acquittement général fut prononcé par un tribunal éloigné, côté atlantique.

Aujourd’hui, loin d’être racornie par un passé aussi lourd, Aigues-Mortes vit un présent de gros bourg du Midi avec une place ombragée où les locaux se retrouvent sans se formaliser des touristes dans les rues. François-René de Chateaubriand (1768-1848) n’y vit qu’ « un vaisseau de haut bord échoué sur le sable où l’ont laissé Saint-Louis, le temps et la mer », une vision en accord, il me semble, avec le caractère triste et austère du personnage, sinon, c'est que la ville donnait alors une impression morose.  

AIGUES-MORTES 2017 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Hyppolyte de Saint-Rambert

vendredi 26 août 2022

Il faut savoir danser...

"Pour passer le Rhône... il faut savoir danser..." La chanson enfantine raconte-t-elle autre chose ? Toujours est-il que de part et d'autre des flots puissants du fleuve, après avoir divagué dans les montagnes avec la Durance, l'esprit se sent encore libre de danser en suivant l'ourlet des Cévennes...    

Ensuite, la plaine, l’opulence du Vaucluse, le flux tendu des vacanciers vers la Méditerranée contrastent complètement. Pourtant d’autres noms : René Char, Jean Giono, Alphonse Daudet dansent dans ma tête comme les balancelles sur les vagues d’Henri Bosco. 

Delta du Rhone wikimedia commons Photo par Aldipower / Sous l'aile de l'avion, le Petit Rhône entre la Camargue et la Petite Camargue au-delà. Plus loin les étangs de la côte montpelliéraine ; au fond l'étang de Thau : on distingue même "l'île singulière" de Sète. 

Le fleuve et son delta, la Camargue, portent les tempéraments en partage du Sud et de la Méditerranée, violemment passionnés, que les amours contrariées exacerbent. C’est le pays de Mirèio de Mistral et d’une Magali séduite par les accords d’une guitare gitane : des amours sublimées finalement si proches des scénarios des romans-photos, qui captivent même pour leurs fins tragiques.

Pour passer le Rhône il faut être deux... Allons passe passe passe, allons passe donc... Revenons en Languedoc, repassons-le fleuve. L’Ardèche, de Ferrat, des châtaigniers, de la montagne encore puisque notre Sud est riche des hauteurs du Massif-Central aussi, des contrées courues par la Burle ce vent des neiges mauvais comme le blizzard. Un camarade de classe, à l’Ecole Normale, venait, comme la Loire, d’une ferme au pied du Gerbier-de-Jonc... Des pensées qui nous ramènent au cinéma, derrière le café Mestre et le tabac Prola de madame «Zan». Ah ! Fernandel en moine dans l’Auberge Rouge !

Gard_Le_Mont_Aigoual wikimedia commons Auteur rené boulay. 

Les Cévennes, Robert Louis Stevenson dans son voyage avec un âne à travers les Cévennes ! Modestine, qui l’accompagnait, dans le titre même de l’ouvrage, de ces animaux fidèles qui ont tant aidé à sortir les humains de la survie. Et ce prénom ! Adeline, Pauline, Joséphine, Céline, Ernestine, mes aïeules, directes ou non, ne m’en voudront pas d’associer Modestine à la grande tendresse qu’il me reste d’elles. C’est que les ânes aussi, reviennent dans ce large panorama, comme quelques notes d’une ritournelle (« Je connais une histoire... Hugues Aufray) sur un monde perdu même si les Cadichon, ,jadis compagnons de travail, vivent aujourd’hui seulement pour être aimés ou apporter dans la zoothérapie. Les Cévennes mythiques aux limites incertaines suivant les époques, jusqu’à désigner toute la bordure est du Massif Central pratiquement jusqu’au Morvan. Cévennes du mûrier et du ver à soie, Cévennes des Camisards, en butte aux dragonnades par la volonté d’un roi trop catholique, persécutés, en écho, plus au sud, aux Cathares éradiqués quelques siècles auparavant. Cévennes des mines de charbon... Cévennes sévères de Jean Carrière, auteur nîmois ("L'épervier de Maheux", "La caverne des pestiférés"). Cévennes d’André Chamson... « Cévennes », le nom de guerre de Jean Guéhenno... En suivant, ces montagnes ourlent aussi les Causses ; c’est souvent le rugby qui a contribué à nous éveiller à toutes les nuances de relief, de climat, de végétation, de cultures qui brident et modèlent les modes de vie. Suivre nos bleus et noir, au rugby. Accéder au Larzac en laissant un cirque du Bout du Monde à droite. Évaluer le printemps qui tarde par rapport à la plaine. Réciter «Lou pastre» d’Antoni Roux avec la consolation de voir la langue occitane respirer encore puisqu’elle figurait en option au baccalauréat et qu’elle grave dans la mémoire la grande humanité d’un professeur, monsieur Couderc... « Gardaren lou Larzac » contre un camp militaire qui envahit comme le firent les dragons du Roy ou les barons du Nord ! Les Causses, grands ou petits, Larzac, Sauveterre, Méjean, Rouge, Noir, de Campestre, de Blandas... Que n’irais-je revoir la grotte des Demoiselles, le cirque de Navacelles, les gorges de la Vis, de l’Hérault ? Et voir une fois dans la vie les pivoines de la Buège ?  A découvrir aussi, en poursuivant au-delà des ruffes rouges du Salagou, du cirque de Mourèze, des hauteurs de Pézènes-les-Mines où naît la Peyne, la rivière de Pézenas, la haute vallée de l’Orb. Les coulées stromboliennes qui ont rempli les sillons forment le plateau de l’Escandorgue depuis le Larzac jusqu’en bas, au pays de Michel Galabru.  des envies de découvertes tant notre territoire est riche de ses diversités ? Les Monts d’Orb couverts de forêts et où, comme dans le bassin minier d’Alès, on extrayait le charbon. En haut des Monts-d’Orb, parfois à près de 1300 mètres d’altitude, les Monts de Lacaune, ses lacs, sa charcuterie, ses eaux minérales (La Salvetat-s-Agout... et ses champignons). Un peu moins haut mais ligne de partage des eaux vers l’Atlantique ou la Méditerranée, les Monts de l’Espinouse, le Caroux, les Monts du Somail.  

Vieussan,l'Orb et la Caroux au fond wikimedia commons Auteur Christian Ferrer


dimanche 28 janvier 2018

LE LONG DE LA CÔTE / Languedoc, Camargue



Le long de la côte, il voit la digue des Cabanes-de-Fleury, les immeubles de Valras-Plage, Vias ; il devine la plage de(s) Farinette(s) de notre professeur de français retrouvé Maurice Puel

« Quand on allait à Farinette, le dimanche,
Par ces longs jours d'été, brûlants comme un fournil… »
« Bourgeons précoces, fruits tardifs », Maurice Puel ( ? - ?). 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2016/07/nos-plages-avant-hommage-maurice-puel.html



Le Mont-Saint-Loup pour Agde et au loin le Mont-Saint-Clair : Sète, à peu près 47 kilomètres à vol d’oiseau. Sète, « l’île singulière » de Paul Valéry (1871 – 1945) avec, derrière, le quartier de la Pointe-Courte au bord de l’étang de Thau, cette lagune atypique que  Georges Brassens (1921 – 1981) aimait beaucoup pour les copains d’abord puis les oursins, les moules, les palourdes plutôt que les gens plus collants que des arapèdes quand on est trop connu. Savait-il la différence entre les clovisses et les palourdes ? Au-delà de Sète, le cordon littoral et la mer qui se confondent nous laissent imaginer Maguelonne, cathédrale des sables, Palavas-les Flots, la Grande Motte, le Grau-du-Roi. La Petite Camargue, les iles du Rhône comme les nommait Henri Bosco, nous amènent vers les « collines » de Marseille, blanches comme la Clape, les falaises de la Franqui, les Corbières Maritimes, comparables s’agissant de l’altitude Massif de l’Estaque (244 m) ou du Garlaban de « La Gloire de mon Père », dans les 700 mètres comme le Montoulié de Périllou…    

« Le golfe du Lion
Est piqué tout entier de balancelles roses
Qui traînent des filets immenses ou qui posent
çà et là des nasses de fond.
C'est le printemps, la mer est tendre,
Elle monte, elle va s'étendre
Jusqu'aux îles du Rhône où vivent les taureaux,
Puis sous les amandiers, les mûriers et les figues,
Jusqu'à l'étang de Berre où le bleu de ses eaux
Bat la colline des Martigues. »
Henri Bosco (1888-1976).




Photos autorisées :
1. Les-Cabanes-de-Fleury, embouchure de l'Aude. Iha ?
2. Plage sauvage. Mairie de Vendres. 
3. Agde cathédrale Wikimedia Commons Author Fagairolles 34.
4. Sète en 2012 / vue vers le nord et peut-être Palavas-les-Flots. Author Mirek237