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mercredi 4 décembre 2019

737. CIRCONSTANCES DE LA BATAILLE DE LA BERRE / colonisation et islam


Aude, La Berre, seen from route D6009 bridge Author Maarten Sepp

La Berre, un petit fleuve même pas côtier car n’atteignant pas la mer, se jetant dans le sud de l’Étang de Bages et de Sigean dont il faudrait, pour cette embouchure, inverser les termes. Comme tous les cours d’eau de notre pourtour maritime (nous venons tristement de le constater puisque les deux épisodes méditerranéens qui viennent, dans l’espace d’une semaine seulement, de toucher le Var et les Alpes Maritimes, ont causé plusieurs victimes) la Berre a connu, en novembre 1999, sa crue peut-être millénaire avec des dégâts inimaginables pour les habitants et l’histoire avec les ponts emportés dont celui du château de Cascastel pourtant vieux de 800 ans.  

Cascastel Château et pont wikimedia commons Autor ArnoLarange
 
Le temps et l’Histoire coulent avec la Berre. Pour preuve, l’oppidum préromain de Pech Maho peut-être du peuple Elysique (700 av J.C., 120 av J.C.) ainsi que le cadre injustement méconnu de la Bataille de la Berre, en 737, entre les Sarrasins occupant Arbuna (Narbonne) depuis presque vingt ans et les Francs de Charles Martel. 

L’évocation des circonstances, après avoir défriché et éclairci le sujet nous rapproche des faits.
Les Sarrasins, en effet, après une conquête éclair de l’Espagne wisigothique sur 3-4 ans seulement, passent les Pyrénées et menacent l’Occident Chrétien. Notre chronologie est non seulement marquée par la perte de Narbonne mais aussi par celle de Carcassonne (725) et Nîmes malgré la victoire d’Eudes, duc d’Aquitaine, à la Bataille de Toulouse (721). Les années qui suivent sont marquées par leurs razzias et pillages (Lérins, Bourges, Autun, Langres, Lyon). Plus grave est la menace d’une occupation plus vaste suite à la défaite d’Eudes à Bordeaux (731). Le duc demande alors l’aide de son ancien ennemi, Charles Martel, subregulus, roi en second des Francs, qui va les arrêter à Poitiers (732). En Provence, un autre duc, Mauronte, lésé par rapport aux grandes familles alliées à Charles Martel et bénéficiaires des confiscations consécutives au succès des Francs depuis Lyon, se soumet au wali de Narbonne en échange de son aide et lui livre Arles.

« … les anciens comtes dépossédés et les grands propriétaires laïques se rallièrent aux Arabes contre les Franks, leurs spoliateurs… »

A Avignon aussi, la garnison franque est chassée ou exterminée avec la complicité des habitants. De là les Sarrasins remontent jusqu’à Lyon mais Charles Martel fond sur eux et les fait refluer dans les murs d’Avignon où, malgré les défenses, ils périssent « par le fer et la flamme ». De là, plutôt que de libérer la Provence, Charles, en fort stratège, choisit d’attaquer Narbonne, le cœur stratégique des possessions arabes au nord d’Al Andalus.    

« …   il tenta une entreprise plus hardie et plus décisive que la conquête de la Provence : il marcha par le pays des Goths droit à Narbonne, et pressa avec une extrême vigueur le siège de ce chef-lieu des établissements arabes en Gaule. Les walis musulmans n’avaient rien épargné pour fortifier Narbonne et la mettre à l’abri de toutes les attaques… » 

Citation ainsi que la précédente tirée de « Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789 » Tome 2, Henri Martin, 1860. 

Charles Martel lors de ce qui est aussi appelé "la bataille de Tours" puisque près de Poitiers, en 732, il arrêta les Sarrasins prêts à piller le riche sanctuaire dédié à Saint Martin.    


vendredi 26 mai 2017

AUDE, ODE AU DELTA (5) / Les îles de la Narbonnaise (fin)


 

Les chiffres en attestent, les géographes confirment : avec quatre millions de tonnes de sédiments en un an, l’Aude fait partie des fleuves les plus travailleurs de France et son delta s’est formé, la régression de la mer aidant. Voilà quasiment deux millénaires, en construisant un barrage (une digue), les Romains ont favorisé le bras méridional sans lequel le commerce maritime avec Narbonne n’aurait pu se faire. Ce bras avançait dans l’ancien lacus Rubresus (lagune aux eaux rouges / étangs actuels de Bages-Sigean et de l’Ayrolle) jusqu’au niveau des îles de l’Aute et de Sainte-Lucie où les vaisseaux romains transbordaient leurs marchandises sur des barges à faible tirant d’eau (cette pratique durera jusqu’au IXème siècle). Le Canal de la Robine et le rail sur ce même remblai empruntent ce même trajet. Son avancée vers Port-la-Nouvelle a coupé la lagune en étangs séparés (1).
 

Pourquoi peut-on parler d’un delta a demandé un lecteur ? Il est vrai que l’Aude joue les originaux, comme souvent et c’est surtout son bras oriental qui est naturel. En 1316, le fleuve a emporté le barrage et repris son cours primitif et malgré les efforts des hommes, à partir de 1531 il ne coulera plus à Narbonne. En 1799 (Brumaire an VIII), après la partie Coursan-Salles-d’Aude, le cours est entièrement canalisé de Moussoulens à la mer : ses riverains veulent se prévenir de ses colères dangereuses !
 

Au Nord (Capestang, Salles-d’Aude, Lespignan, Fleury-d’Aude, Vendres), les hommes laissent plutôt les étangs à la nature ; au sud de Narbonne, les lagunes sont exploitées. Des professionnels inscrits au rôle (prud’homie de Port la Nouvelle-Bages) pêchent l’anguille, le joël et, à la belle saison, les muges, les daurades, les loups, les soles. Des bancs de coquillages sont mentionnés dont des moules et des palourdes (2). Il faudra redemander à Yves concernant l’étang de Bages (3) et se souvenir de Robert sur l’Ayrolle pour en apprendre davantage...  

Nous reviendrons sur ce volet humain et économique qui interfère et perturbe les cycles naturels avec d’abord les déséquilibres entre salinité et apports d’eau douce (Robine, rivière Berre... et peut-être un cours souterrain de l’Aude), ensuite les excès de nutriments dans l’eau dus aux rejets humains, envahissement par les algues vertes ou rouges, pollutions récurrentes au cadmium (Micron Couleurs / Narbonne), à l’insecticide (SOFT / La Nouvelle), à l’azote (Comurhex / Malvézy).

Sans vouloir oublier ces réalités, c’est la poésie du delta que nous voulions retrouver, ce monde flou encore empreint de mystère, engendré par la rencontre entre la mer et la terre, les milieux salins et dulçaquicoles, ces calmes vénéneux que des vents fous balaient avec régularité.
Dans l’étang de Bages et de Sigean, les îles ne peuvent que nourrir la rêverie : la Margotte et ses oiseaux de mer (4), Planasse où les moutons, comme à l’île Amsterdam auraient éliminé la flore originelle, les Oulous «... rôtie par le soleil et le Cers... » comme l’a décrite Jean Girou, l’île du Soulier «... si petite qu’elle semble destinée au pied de Cendrillon...» écrit encore l’auteur de l’Itinéraire en Terre d’Aude (5).
 


Plus au sud vers La Nouvelle, les trois autres terres émergées sont marquées par la présence humaine. Émouvant, le tout petit îlot de la Nadière, presque un coin de Bretagne, qui abrita longtemps un village de pêcheurs. 



Souriante, Sainte-Lucie, de son ancien nom Cauquenne ("port" en ibère), où la forêt a remplacé les vignobles des moines. En 1809, un décret impérial a débouté Gruissan (au profit de Sigean, Port-la-Nouvelle n’étant commune que depuis 1844 ?) qui voulait y préserver ses privilèges (cueillette de la salicorne, accès à la fontaine, libre disposition de cabanes de pêcheurs, droit de passage). 

 

L’île de l’Aute au soleil du matin : un bout du monde à portée, un rêve de milliardaire heureusement confisqué puisqu’elle appartient désormais à notre communauté républicaine depuis que nous l’avons achetée grâce au Conservatoire du littoral. Un corps de ferme massif mais si méridional, entouré de sa pinède, flanqué d’un palmier phœnix. Derrière les bleus de l’étang, dans un écrin de roches blanches, je me souviens encore des vignes... Sûr que depuis l’autorail rouge, elle faisait rêver, l’île de l’Aute. 


Dans son histoire, la chronique a aussi retenu que le grand filtre à café pour les bètes, bétous, bétounes, les barques montantes de la Nadière et celles de Bages qui descendaient à La Nouvelle, s’est jusqu’à nos jours, transmis par héritage. Les fermiers de l'île de l'Aute étaient aussi bistrotiers ! Une autre anecdote (voir absolument la page facebook Ile de l’Aute) vient nous rappeler un amour de delta mais rose cette fois, comme la fleur du tamaris, en pendant à Mirèio et Magali, autres amoureuses tragiques de Camargue.
François, un Sigeanais, s’était entiché de Célestine, l’une des trois filles du fermier. Aux beaux jours, pour la voir plus souvent, il cachait sa bicyclette sur les bords, une chemisette sous son chapeau et partait rejoindre sa bien-aimée à la nage ! 

Crédit photos : 1, 2, 3, 6 Commons wikimedia
1. Plan incliné de Gailhousty Sallèles Auteur Gerbil
2. Canal de jonction Gailhousty Sallèles auteur Nancy
3 Canal de la Robine along Sainte-Lucie Island Author Christian Ferrer
6. Ile Sainte-Lucie Author Christian Ferrer

4. Carte des Cassini Géoportail IGN
5. Ile de la Nadière Ministère de la Culture et de la Communication
7. Ile de l'Aute vue depuis Port-Mahon parc de la Narbonnaise

mercredi 26 avril 2017

DELTA DE L’AUDE (4) / Les îles de la Narbonnaise.

  

Un autorail rouge et crème s’en va dans le petit matin blême. Ambiance enfumée d’un temps où la clope tue en toute impunité. Presque tous ont un abonnement de travail (merci la SNCF), et des habitudes. L’encre pas encore sèche de l’Indépendant ou de la Marseillaise noircit les doigts. D’autres forment une table à quatre pour une belote bruyante. Moi je retrouve Alain qui enseigne, toujours dans les P.O. où il a "fait" l’École Normale. Malgré nos discussions, les instantanés des lagunes, des îles, viennent forcément meubler nos silences. En attendant d’en savoir davantage, un jour, sur cette langue de terre avec le canal et le rail entre des étangs qui, sans cela, ne feraient peut-être qu’un, nous sommes si habitués qu’il faut se pincer pour admettre le caractère admirable de ces paysages dont nous semblons blasés. 


Avec le Paris-Port-Bou, toute cette beauté vous saute aux yeux. Jamais aussi bien perçue que dans les yeux des voyageurs du train de nuit. "Le train de nuit, c'est Paris à une heure de Perpignan : une demi-heure pour s'endormir, une demi-heure pour se réveiller" (1). La surprise donne à tous cet air émerveillé des enfants à Noël : la lumière toute méditerranéenne, magie de toutes ces nuances encore mêlées de bleus, de gris, de verts, le ciel, les étangs, le canal, les pins émergeant peu à peu de la nuit sous un soleil encore froid comme un œuf clair mais qui n’a plus rien à voir avec celui d’Austerlitz. 
    

Depuis sept millénaires, sur près de 250 km2 (2), le delta de l’Aude occupe à peu près la surface qui est la sienne  aujourd’hui. Le littoral abordé par les Romains ressemble beaucoup à celui que nous connaissons. Le maintien artificiel du bras méridional de l’Aude (barrage ou digue seulement à Sallèles ?) (3) ne permettait déjà plus d’atteindre Narbo Martius et les marchandises passaient des navires de haute mer sur des barges à fond plat, à hauteur des îles de Sainte-Lucie et de l’Aute. La Clape a longtemps gardé son insularité ; appelée « Île du Lec », elle se trouvait en effet séparée du fossé comblé de Narbonne par un étang salin qui s’est maintenu jusqu’au XVIIIe siècle (4).     

(1) train supprimé en décembre 2016...
(2) plus marqué, le delta de l’Ebre s’avance sur 320 km2 tandis que celui du Rhône avec une Camargue plurielle (la Petite et la Grande) s’étend sur 1500 km2.
(3) «... Gaston Galtier (La côte sableuse du Golfe du Lion [Bulletins de la Société languedocienne de Géographie - année 1958] pense que le bras oriental, plus court et présentant une pente plus forte, écoulait la majeure partie des eaux et que les Romains ont barré ce bras oriental à Sallèles pour augmenter le tirant d'eaux du bras méridional et le rendre plus propice à la navigation, ce qui paraît plausible en raison de l'importance du port de Narbonne.../... à la suite de l'inondation de 1316, l'Aude a emporté le "barrage" de Sallèles et repris son cours primitif dans le bras oriental... /... les efforts déployés, après la rupture du barrage, pour maintenir le cours de l’Aude vesr Narbonne se sont révélés vains. Depuis le milieu du XIVe siècle et jusqu'à la fin du Moyen-Âge, l'Aude n'arrose qu'irrégulièrement la ville. Une nouvelle robine doit être établie à Moussoulens en 1468.../... Ces efforts restent vains ; le 3 octobre 1531, l'Aude change définitivement son cours et quitte Narbonne.../... La situation des embouchures de l'Aude ne sera stabilisée qu'au début du XIXe siècle : la Robine a été canalisée de Moussoulens à la mer, la branche nord sera à son tour canalisée en Brumaire an VIII...» (22 oct- 21 nov 1799).
Source Vilatges al pais, Canton de Coursan (2005 / Francis Poudou et habitants) 
(4) Etang Salin sur les communes de Vinassan et Narbonne, restes du lacus Rubressus, desséché en 1585 grâce au canal Ste Marie. La mention des salines de Coursan apparaît en 844. Estang salin ou marais de la Clape 1680. Le canal de l’étang-Salin ou de Ste marie prend à Coursan le trop-plein de la rivière Aude, arrose les basses plaines de Coursan (A l’estang 1768), Armissan (Tot lo lonc de l’Estanh 1537), Narbonne et se jette dans l’étang de Campignol au roc de Conilhac. 
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/search?q=Coursan

 
Crédit photos commons wikimedia : 
1. autorail quittant Calvi auteur Didier Duforest
2. Étang_de_l'Ayrolle,_Gruissan Auteur Christian Ferrer / cliché pris vers l'ouest depuis l'île Saint-Martin / La voie ferrée et le canal séparent l'Ayrolle de l'étang de Bages-et-de-Sigean. 
4. Étang de Bages et de Sigean  depuis Sainte-Lucie Author Christian Ferrer / photo prise vers le sud : on distingue la petite île de la Nadière ainsi que les silos et les cuves à hydrocarbures de Port-la-Nouvelle. 

Photo de nos impôts : 
3. Ile de l'Aute vue aérienne Conservatoire du Littoral