mardi 16 février 2016

LE CARNAVAL EST À LA CULTURE CE QUE LA CULTURE EST À L’ÂME DES PEUPLES... / Europe

    

Tandis que nos villages dortoirs sont en danger de délitement, des "pays" moins dilués dans la modernité restent droits parce qu’ils tiennent à leurs traditions.
    Je pense à la Sardaigne, aux pays du Rhin dont l’Alsace, aux caractères méditerranéen et alémanique apparemment éloignés, aux ressources économiques à l’opposé mais si proches pour la protection d’une identité particulière, nourrie de tout ce que l’imagination a pu construire concernant le rythme en commun des saisons et, plus particulièrement, le passage de l’hiver au printemps si bien annoncé et traduit par la fête de carnaval. Mêlant les rites agraires, pastoraux et de fertilité, le culte des forces de la nature, les célébrations étaient aussi l’occasion de bouleverser l’ordre établi. Alors, les pauvres prenaient la place des riches et les administrés celle des autorités qui leur remettaient symboliquement les clés de la cité, avant que tout ne rentre dans l’ordre avec ses dominants, ses dominés et au-dessus de tous la puissance divine imposant les rigueurs d’un carême de quarante jours, la vraie période où on enlève la viande, du latin "carnelevare". 
    Ce legs, véritable liant identitaire, nous le retrouvons, plus près de nous, en Provence et en Languedoc, dans des villes d’une certaine taille, autour de 10000 habitants (est-ce dû à un effet de seuil ?), comme Limoux et Pézenas.
    Après ce petit tour d’horizon et non sans nous rassurer de ce qui reste dans le verre, espérons-le, à moitié plein, de notre village, nous reviendrons feuilleter l’album des carnavals passés, à Fleury.
   
    Sous des attraits spectaculaires, la signification de ces festivités va bien au-delà du pittoresque destiné aux touristes. Nous ne sommes pas en présence d’attractions commerciales et le folklore n’a rien d’un artifice destiné à appâter le chaland ! Au sens premier du mot "FOLKLORE", il faut lier l’anthropologie, la science de la culture, des usages et des arts d’un peuple. Allez donc feuilleter la vieille revue audoise FOLKLORE (de 1938 à 1988 ! / accessible sur le Net) : ce n’est pas pour déprécier nos racines que des intellectuels de premier plan se sont engagés ! Ce n’est pas parce que les syndicats d’initiatives et les comités de tourisme veulent gagner des visiteurs que les locaux doivent perdre leur âme !

    Sans âme, un peuple ne résiste pas à ce qu’on appelle, un peu trop vite, le progrès, dans ce qu’il a du rouleau-compresseur, sous l’emprise de l’argent-roi. Ainsi, le tourisme de masse n’est-il pas en train de faire mourir Venise, pendant et en dehors du temps de carnaval ? Ailleurs, du moins là où subsiste avant tout le souffle de la transmission, nombreux sont les émigrés qui prennent leurs congés pour se replonger dans leurs racines, en réintégrant la société du cru, à la place qui est la leur.
    En Sardaigne, ceux du continent reviennent pour carnaval, dans la Barbagia montagneuse. Vêtus de peaux de chèvres noires ou de moutons blancs, lestés d’une trentaine de kilos de cloches sur le dos, affublés d’effrayants masques noirs, les Mathumones défilent dans les rues et passent manger et boire dans les maisons. 


    Plus au nord, entre le pays de Bâle, celui de Bade, la Forêt-Noire et l’Alsace, ce sont  des sorcières, des fous, des hommes sauvages, des gnomes de la forêt, des « pleureurs », des balayeurs de l'hiver, des diables aux escargots armés de vessies de porcs qui investissent les rues. En Suisse, dès janvier, on fête les démons pour mieux les chasser. Néanmoins, ce qui pourrait s’apparenter à un grand désordre est au contraire très encadré : les rôles sont définis, les masques et déguisements rituels réservés aux habitants, un peu comme à des initiés. L’ivrognerie est interdite. Quant aux visiteurs, si la participation est autorisée, ils ne peuvent que suivre sans se mêler aux personnages institutionnels. Nous retrouvons là la prévalence de tout ce qui, dans une communauté, fait l’héritage, la transmission d’un patrimoine, d’une histoire partagée jusqu'à une certaine limite et ne se monnayant pas ! Parmi ces festivités authentiques, citons, entre le 3 et le 17 février, Gegenbach, Emmendingen, Freiburg-im-Breisgau (Allemagne), Hoerdt, Sélestat et Mulhouse (Alsace), et pour finir Bâle en Suisse.
http://bons-baisers-du-rhin-superieur.com/carnaval-vallee-du-rhin-bale-mulhouse-selestat-alsace-emmendingen-freiburg/ 


    Plus près de nous, en Provence, entre les farandoles et autres danses, la jeunesse multiplie les farces. Par le passé, avec les cocus, le boulanger aussi était visé : le jeu (1) consistait à lui faire ouvrir la fenêtre pour le badigeonner avec le patarassoun, le chiffon au bout d’une perche servant habituellement à nettoyer le four ! Le mercredi des Cendres, ils quêtaient de maison en maison avant de promener Caramentran (Carême entrant), le mannequin aux traits de quelqu’un connu au village. La danse grivoise des boufèts enfarinés, portant bonnets, chemises de femmes et se soufflant au cul pour calmer les ardeurs, rythmait (et rythme encore heureusement, en quelques lieux !), la procession ! Le procès de Caramentran toujours condamné au bûcher clôt la journée tandis que l’assistance chante « Adiou pauré Carnaval » (musique attribuée à Giovanni Battista Pergolesi (1710 - 1736), reprise plus tard dans « Bonne nuit les petits »).

Adiou pauré Carnaval

Adiou pauré, adieu pauré,
Adieu pauré Carnaval
Teu t'en vas e ieu demouri
Adiou pauré Carnaval

Teu t'en vas e ieu demouri
Per manjar la soupo a l'alh
Per manjar la soupo a l'òli
Per manjar la soupo a l'alh


Adiou pauré, adiou pauré,
Adieu pauré Carnaval

La joinessa fa la fèsto
Per saleudar Carnaval
La Maria fa de còcos
Amb la farino de l'oustal

Lou biòu dença, l'ase canta
Lou moutoon dis sa leiçoun
La galina canto lou Credo
E lo gat dis lou Pater

Adieu, pauvre, adieu pauvre, / Adieu pauvre Carnaval / Tu t'en vas et moi je reste / Adieu pauvre Carnaval / Tu t'en vas et moi je reste / Pour manger la soupe à l'ail / Pour manger la soupe à l'huile.
La jeunesse fait la fête / Pour saluer Carnaval / la Marie fait des coques / Avec la farine de la maison.
Le bœuf danse, l’âne chante / Le mouton dit sa leçon / La poule chante le credo / Et le chat dit le pater.

    La suite au prochain numéro !
    Iéu m’en vau et teu demoures per manjar ta soupo à la grimaço !
    Comment ? on rouspète qu’il manque Limoux, et Pézenas, et les rogatons de Fleury ! 
    Sans rigoler, pensez donc à ceux qui abandonnent la lecture en cours de route ! Et puis, comme le disait aux bigotes, en parlant des hosties, notre bedeau dont le panel sortait de la braguette ouverte « N’y aura per toutis ! »
    Et surtout n’oublions pas que ces carnavals sont d’autant plus proches qu’ils nous renvoient aux nôtres de festivités !     


PS : merci aux Mathumones de la Barbagia, merci pour ces bons baisers du Rhin supérieur. Recevez en retour, les meilleurs poutouns (baisers en occitan) de Fleury d'Aude en Languedoc !  

(1) de nombreuses variantes dont une, décalée, avec du sang et un coup de fusil, à Fleury, en haut de la rue Neuve... 



photos autorisées commons wikimédia : 
1. carnaval Waggis à Bâle 2013 auteur Gzzz. 
2. carnaval Mamuthone de Mamoiada Sardaigne. 
3. carnaval Mulhouse auteur Florival fr.
4. carnaval (Fastnacht) Schuttig d'Elzach 2014 (Forêt Noire) auteur Andreas Praefcke. 
5. carnaval Kartunger Fastnacht 2010 auteur Immanuel Giel.
6. carnaval Waggis à Bâle 2013 auteur Gzzz.

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