dimanche 31 janvier 2016

JANVIER ENCORE / Fleury d'Aude en Languedoc


    Je suis l’enfant des marges et des armasses, celui qui court les talus et garrouilles, celui dont le tic-tac interne s’emballe, dès que Nadal confirme les jours plus longs d’un « pè de gal », d’un pied de coq.
    Attaché à la terre comme à une mamelle, j’arpente les ceps comme on vendange, heureux d’en tirer ces porrès sauvages, ces petits poireaux de vignes. Quel plaisir ensuite, de rassembler les petites bottes au bout de chaque rang et de se régaler à l’avance du cadeau fait par mère Nature. Mais les poireaux montent vite en graine et plus vite encore quand apparaissent l’erbo blanco (1) et les menus soucis jaunes et orangés (2).
    Dans les têtes, ça déborde d’impatience, pour cause de renouveau qui s’ébroue. Chacun veut le voir et l’espère, l’amandier en fleur ! Et quand les arbres surlignent le paysage de leurs pastels blancs ou roses, les cœurs à l’unisson disent à l’hiver : « Va-t-en ! ».   
    Ne pensez pas que c’est du passé, de l’histoire ancienne, que le progrès a tout balayé... Le progrès, s’il permet instantanément de prendre un billet pour le bout du monde, n’interdit pas de cueillir du bonheur à nos portes, non ? N’objectez pas que les poisons sont là avec nos paysans complices, ceux qui ne voulurent pas voir la chimie criminelle bétonnant les terres, au prétexte que c’était chouette de ne plus avoir à labourer ! Ne me dites pas que les "fleurs d’ail" et les soucis délicats refleurissent nos vignes derrière des barbelés. Écoutez plutôt le gentil froufrou des abeilles, sous l’amandier.
    Certes, les temps sont difficiles et s’il faut se garder de broyer du noir, il arrive, néanmoins, à tout un chacun de douter, de ruminer sa morosité, sans s’en douter, même. Hier, je devais en être là quand un petit envoi express, expressément adressé (3), me le fit réaliser. Oh peu de chose, une photo envoyée, un arbre, peu gaillard qui plus est... Sauf que, n’illustrerait-il pas, tel ceux, conduits en gobelet, le mode de vie sinon de survie qui tenait nos aïeux, à l’image de ses frères civilisés, lui aussi, l’arbre chenu ensauvagé, nous porte le message.
    « Voilà, tonton, ton amandier ! » laissait entendre l’envoi. Un instant, j’ai pensé malingre, un instant seulement, parce que d‘un coup il a ébloui mon âme, le messager porteur de lumière. Entre un neveu et son oncle, avec notre sang, « la raço » de nos « papetos », déclamait Jean Camp (4), c’est tout un village qui s’est levé, comme une force vitale du fond des âges, pour que frémisse l’espérance encore froissée, douce et amère, rose ou blanche, des fleurs aimées de l’amandier.
    Je t’embrasse, mon Pierrot.  
   
(1) Diplotaxis fausse rouquette... Diplotaxis tenuifolia ou moralis (?) ; les jeunes pousses se mangent. Enfants, nous disions «fleurs d’ail». 
(2) Calendula arvensis. Le souci des champs ou sauvage est, entre autres bienfaits, réputé antibactérien, anti-inflammatoire (fleurs), antitumoral. Les feuilles sont diaphorétiques (stimulent la transpiration), On la consomme depuis longtemps en salade. Ses fleurs, très mellifères, résistent au gel ; séchées elles servaient à colorer le beurre ou le fromage.
(3) non comme ces remerciements d’anniversaire trop souvent envoyés à la cantonade, à la mode de facebook !
(4) lire son magnifique poème, une référence de tous les instants pour les Languedociens que nous sommes, LOU DOUBLIDAÏRE : « ... E la raço de sous papetos / Qu’aro soun bressats per la mort / Lous brassiès qui fouchaboun l’ort / E que grefaboun las pouretos... » 

Note : suite à des sécheresses répétées en Californie, le cours des amandes est passé 2,30 à 12 € ! Dans ce secteur, la France est largement déficitaire. S’il est charitable de ne pas en rajouter, qu’est-ce qu’on attend quand même pour dézinguer cette mafia qui décide des prix, comme en atteste une énième crise du lait d’actualité ? Qu’est-ce qu’on attend pour replanter l’amandier autrement que pour détourner des subventions ?   


Photo : l'amandier de Pierrot, hier samedi 30 janvier 2016. 

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