mercredi 8 avril 2015

CENT ANS DÉJÀ ! C’ÉTAIT... LOUIS PERGAUD


C’ÉTAIT... LOUIS PERGAUD... 

Le 8 avril 1915, cent ans déjà, non loin de Verdun, sur le front de l’Est disparaissait le sous-lieutenant Pergaud Louis, Émile, Vincent. Que son souvenir soit celui du « soldat connu » poussé à témoigner, à parler pour tous ceux qui n’ont pu se faire entendre ou qui n’ont pas voulu revenir sur cette guerre terrible. 


  




Tous ces hommes, des villes ou des villages, des usines ou des champs, portaient les gènes d’une France rurale, proche de la nature. L’inspiration qu’elle a toujours suscité chez les écrivains, loin d’être passéiste, se confond avec ce retour aux sources plus que jamais d’actualité quand seule la croissance est assénée, ressassée par une caste dirigeante escamotant les signes flagrants d’une catastrophe annoncée.

            Sur la forme, et j’espère encore que ce ne sera pas perçu comme une nostalgie réactionnaire qui aurait peur de demain, la prose de Pergaud rappelle ces bons maîtres, ces professeurs qui nous incitaient à employer des verbes expressifs, pour enrichir notre vocabulaire sans toujours répéter « être », « faire ». Au fil des ans et des lectures, pourtant, l’utilité de ces principes semble moins univoque qu’il n’y paraît, du moins chez les grands, ces artistes qui manient les mots comme d’autres les pinceaux, les burins ou les notes de musique. Pagnol, par exemple, sur l’affection entre un enfant et sa grand-mère : « Les grands-mères, c’est comme le mimosa, c’est doux et c’est frais, mais c’est fragile. » (Naïs).
Pour revenir à la Comté de Pergaud, dans la Guerre des Boutons, une phrase, presque la première de la première page, impossible à oublier tant elle foisonne dans sa simplicité : « C’était un matin d’octobre. » Peut-être parle-t-elle mieux au potache qui a eu à en orthographier la suite, mâchouillant consciencieusement son porte-plume, pour mieux réfléchir ou rêver, le regard perdu par-dessus le verre dépoli d’une fenêtre, sur le gris d’un ciel de rentrée des classes ?
« C’était », « C’était »... une expression si simple, si commune, et quelle émotion pourtant ! Pour ceux qui en sont aussi convaincus que pour le Quadrangle, le carré noir sur fond blanc de Malévitch, un florilège des paragraphes, de ceux qui déclinent l’époque et plantent le décor, amorcés sur cette tournure tant syntaxique que d’esprit :    

« C’était un matin d’octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait l’horizon aux collines prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les pruniers étaient nus, les pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer tombaient en une sorte de vol plané, large et lent d’abord, qui s’accentuait d’un seul coup comme un plongeon d’épervier dès que l’angle de chute devenait moins obtus. L’air était humide et tiède. Des ondes de vent couraient par intervalles. Le ronflement monotone des batteuses donnait sa note sourde qui se prolongeait de temps à autre, quand la gerbe était dévorée, en une plainte lugubre comme un sanglot désespéré d’agonie ou un vagissement douloureux. 
L’été venait de finir et l’automne naissait... »
La Guerre des Boutons. Première page.

« ... C’était une belle journée d’automne : les nuages bas qui avaient protégé la terre de la gelée s’étaient évanouis avec l’aurore ; il faisait tiède : les brouillards du ruisseau du Vernais semblaient se fondre dans les premiers rayons du soleil, et derrière les buissons de la Saute, tout là-bas, la lisière ennemie hérissait dans la lumière les fûts jaunes et dégarnis par endroits de ses baliveaux et de ses futaies... »
La Guerre des Boutons. Page 71.

« ... C’était un soir gris et sombre. La bise avait couru tout le jour, balayant les poussières des routes : elle s’arrêtait un peu de souffler ; un calme froid pesait sur les champs ; des nuages plombés, de gros nuages informes s’ébattaient à l’horizon ; la neige n’était pas loin sans doute, mais aucun des chefs accourus à la carrière ne sentait la froidure, ils avaient un brasier dans le cœur, une illumination dans le cerveau... »
La Guerre des Boutons. Page 261.

« ...C’était un soir calme de fin d’automne. La nuit, à grands pas, venait, noircissait par degrés la chape bleue du ciel qui s’étoilait lentement. Pas un souffle de vent ne troublait la tiédeur enveloppante ; les fumées montaient calmes des cheminées, formant sur les carapaces bigarrées des toitures un léger manteau vaporeux. Les clarines tintaient joyeuses au cou des vaches qui rentraient des champs et marchaient d’une vive allure vers l’abreuvoir ; le marteau du forgeron Martin sonnait par intervalles sur l’enclume argentine, et tous ces bruits formaient une rumeur paisible et chantante qui était comme la respiration vigoureuse ou la saine émanation du village... »
Le Roman de Miraut. p. 129 (début du chap 10).  

« C’était un soir de printemps, un soir tiède de mars que rien ne distinguait des autres, un soir de pleine lune et de grand vent qui maintenait dans leur prison de gomme, sous la menace d’une gelée possible, les bourgeons hésitants... » 
De Goupil à Margot. / La tragique aventure de Goupil / 1er mot page 1 !  

             « ... et la grand-mère, comme de coutume, avait commencé de sa voix chevrotante,  un peu mystérieuse et lointaine, le conte traditionnel :
            « C’était il y a des temps et des temps, par un minuit passé, un soir de matines, quand la terre que nous labourons maintenant était encore toute aux seigneurs et que les grands-pères de nos grands-pères leur obéissaient... » 
De Goupil à Margot. / La tragique aventure de Goupil / page 55.


« ... C’était une symphonie de couleurs allant du cri violent des verts ardents et comme vernissés (réfléchissant le soleil sur les mille facettes de leurs miroirs comme pour jouer avec la plaine) aux pâleurs mièvres des rameaux inférieurs, dont les feuilles tendres, aux épidermes délicats et ténus, n’avaient pas encore reçu le baptême ardent de la pleine lune, bu la lampée d’or des rayons chauds, car leur oblique courant n’avait pu combler jusqu’alors que les lisières privilégiées et les faîtes victorieux... » 
De Goupil à Margot / La fin de Fuseline p 80 (une seule phrase particulièrement longue). 

 
« ... C’était un de ces premiers jours où la forêt, comme une femme qui a longtemps résisté, se laisse enfin aller toute aux caresses de l’amant, où elle vit de toutes ses fibres, où elle chante de toutes ses sèves, où les grands baisers du soleil l’ont investie comme un amour victorieux et conquise, et pénétrée toute, et où elle ne tend plus aux vivants, sous ses ombrages captieux, l’asile traître de son insidieuse fraîcheur... »   
De Goupil à Margot / La fin de Fuseline / toujours page 80.

« ... C’était une heure indécise d’une après-midi brumeuse. Aux écoutes sur la branche dépouillée d’un « foyard » où elle se reposait de quêtes infructueuses, Margot scrutait l’espace de son oeil inquisiteur et vif, quand, d’un fourré encore touffu, sous un chêne plus résistant, elle entendit le cri de ralliement de sa gent et y répondit aussitôt... »
De Goupil à Margot / La captivité de Margot page 125.   

            « ... C’était peut-être comme au crépuscule de jadis, près de la mare maudite ; mais là il n’y avait point d’eau ; nul arbre ne se dressait ; seule, au loin, derrière un épaulement de terrain, une fumée bleuâtre montait calme et droite dans le froid sec du matin... » 
De Goupil à Margot / La captivité de Margot page 129.   


« ... C’était une après-midi morose de fin d’hiver, un temps de dégel qui confinait tout le monde dans les maisons, dans la paix somnolente des chambres chaudes, tandis qu’au dehors le paysage se dénudait, sale, gris, cinglé de pluie, fouaillé de vent et semblant tituber de spleen comme un ivrogne reprenant sa marche après avoir dormi dans les fossés du chemin... » 
De Goupil à Margot / La captivité de Margot page 145.

           
« C’était l’hiver sur la plaine et sur la forêt. La neige glacée couvrait partout le sol. Depuis trois semaines pourtant elle ne tombait plus, mais le gel qui l’avait cristallisée en paillettes luisantes d’une finesse merveilleuse, l’avait rendue plus subtile encore et plus traîtresse. Pas un abri n’échappait à son assaut ; son emprise fluante et légère s’étendait aux recoins les mieux défendus et, selon le caprice des bises de décembre qui se plaisent à mener aux carrefours des chemins et aux croisements des tranchées forestières leurs bals blancs, le tourbillonnement gracieux des papillons immaculés s’élevait et s’abaissait, recouvrant au fur et à mesure de leur apparition, les traces mouvantes des passages frayés...»
Histoires de loups (en annexe). L’arrivée du maître (1ère page, 1er mot !).


« ... C’était un beau jour d’hiver ; le soleil, bas sur l’horizon, était sorti tard des brumes qui couvraient les coteaux et ne parvenait point, sous la bise qui soufflait sans relâche, à dégeler si peu que ce fût la croûte glacée qui recouvrait la terre. Des multitudes de traces d’animaux s’entrecroisaient à la surface de la neige et nous nous essayions à deviner quels étaient ceux qui les avaient frayées et si les traces étaient fraîches... »
Ébauche intitulée « La rencontre ». 

             Et pour ceux qui ne partageraient pas, si, par masochisme ils ont lu jusqu’ici, concluons en détournant Pergaud dans sa préface à La Guerre des Boutons : « ...j’ai le droit d’espérer qu’il plaira  aux « hommes de bonne volonté » selon l’Évangile de Jésus et pour ce qui est du reste, comme dit Lebrac, un de mes héros, je m’en fous. » L.P.

    

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